domingo, 10 de noviembre de 2013

Le monde naturel de C.F. Ramuz. Une approche écocritique de son œuvre.


Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) est l’un des plus grands écrivains suisses de langue française du XXème siècle. Poète, romancier et essayiste, il a été estimé et contesté de son vivant en raison de ses audaces stylistiques. Qualifié à tort pendant longtemps d’auteur régionaliste, il est considéré de nos jours comme un écrivain moderne, en avance sur son temps de par son engagement et son approche critique de la langue française. C’est surtout grâce à l’un de ses engagements, celui qui concerne la nature, que nous sommes réunis aujourd’hui dans cette journée d’étude intitulée « L’invention de la Nature ». L’objectif de cette intervention est de montrer comment une certaine éthique environnementale traditionnelle s’élabore dans ses écrits et comment ses personnages envisagent leur relation avec le monde naturel.

Pour y arriver, nous avons choisi une approche écologique ou environnementale de la littérature, connue sous le nom d’écocritique, qui a pris son essor dans les années 90 du siècle dernier, notamment dans le monde anglo-saxon. Les recherches en écocritique s’intéressent aux relations entre l’être humain et l’environnement. La reconnaissance des activités humaines qui endommagent gravement les systèmes de récupération primaires de la planète encourage aujourd’hui un désir sincère de contribuer à la récupération environnementale. La littérature peut servir de terrain propice pour cultiver cette nouvelle approche écologique, elle constitue un formidable défi sur l’imaginaire par rapport à tout ce qui concerne la nature. Toute œuvre de fiction, de n’importe quel genre, est construite dans un cadre naturel ou civilisé, où les hommes cohabitent. L’écocritique permet de recueillir, d'analyser et de comprendre les différentes modalités d'interaction des hommes avec leur habitat. Ses caractéristiques principales sont l'utilisation de concepts de l'écologie appliqués aux compositions littéraires et le compromis de créer une conscience écologique à travers la littérature. En effet, le principal objectif de cette nouvelle théorie est d’engager la critique littéraire dans une réflexion écologiste afin de chercher des solutions à la crise environnementale. Evidemment, l’écocritique ne peut donner que des solutions théoriques aux problèmes de l’environnement, mais elle a toutefois l’ambition d’engager le lecteur à une réflexion d’ordre éthique, car elle part du principe que la littérature doit être véhicule d'idées et surtout de valeurs. Par rapport au rôle de la littérature et de la critique littéraire, Glen Love indique: « De nos jours, la fonction la plus importante de la littérature est celle de rediriger la conscience humaine vers une considération totale de son importance dans un monde naturel menacé [...] en reconnaissant la suprématie de la nature, et la nécessité d'une nouvelle éthique et esthétique ». Et il ajoute : « [nous avons l’] espoir de récupérer le rôle social perdu de la critique littéraire » (Love, 1996:237-8). Par conséquence, les littéraires devraient être les premiers à se sentir concernés par les questions d’environnement, dans la mesure où ces dernières impliquent des principes éthiques. Puisque ce sont les principes éthiques qui nous dictent nos rapports avec nos semblables et avec la nature, l'écocritique, ou la "critique verte" se doit d'être un lieu de rencontre entre le savoir scientifique et les autres types de discours. Elle se doit d'aller au-delà de la dichotomie homme-nature et conduire à une forme d' « éco-éthique » permettant de recentrer les débats.

Du fait que l’écocritique se nourrit de l’histoire américaine de la préservation et de la conservation des grands espaces naturels, elle évalue la représentation de la nature dans les textes littéraires selon l’idéal de la nature sauvage. Il est évident qu’une telle conception de la nature traverse mal les frontières géo-politiques. La mise en valeur de la nature sauvage demeure un phénomène assez rare dans les écrits francophones. Les paysages, dont Ramuz s’inspire, comprennent des champs, des vignes, des bois, des vergers, des pâturages; il s’agit d’un paysage aménagé, cultivé depuis des lustres, d’une nature humanisée et humaine. L’expérience de la nature dans le monde européen est évidemment très différente. Il est important de reconnaître ces différences culturelles. C’est la raison par laquelle nous allons établir des approches écocritiques qui tiennent compte des spécificités culturelles suisses, ou plutôt vaudoises. Comme l’affirme Heise, l’écocritique doit tenir compte du fait que chaque culture produit ses propres concepts de la nature, ses propres discours écologiques, ses propres rapports au milieu (Sense of place 60-1). La relation que l'homme établit avec la nature ou avec son milieu naturel, constitue « un sujet dont le traitement requiert des notions qui impliquent les mythes, les traditions, les religions, les cultures, les systèmes philosophiques et économiques »1 du fait que toutes ces notions expliquent le comportement de l'homme face à son milieu naturel, face à son environnement.

Dans notre Histoire, nombreuses ont été les philosophies et les traditions politiques, telles que le structuralisme, le modernisme, l’écologie qui ont débattu du problème du dualisme  homme-nature. Le structuralisme, par exemple, lié aux théories marxistes sur les structures économiques et sociales dégagées par Le Capital, fut mise en place par Louis Althusser. Pour ce philosophe la structure économique, constituée par l’ensemble des rapports de production (rapports sociaux), est déterminée par la théorie de la praxis, de la pratique collective. La praxis étant la relation dialectique entre l’homme et la nature et l’homme et l’environnement social, relation par laquelle l’homme en transformant la nature par son travail ou en transformant l’environnement social par son travail se transforme lui-même. Ainsi, l’homme en général, transformant son environnement naturel et social par son travail, détermine la structure économique. Ramuz présente ce même dualisme dans son essai Taille de l’Homme (1933). Partant d’une dénonciation contre le communisme, il affirme que la nature est devenue pour le bolchevisme « synonyme de matières premières ». Cependant, Ramuz vise encore plus loin et il considère que cette attitude n’est pas exclusive de l’idéologie communiste « car le monde entier semble en proie à cette même folie utilitaire ». Ses réflexions montrent une grande méfiance envers le monde moderne. Ramuz est probablement l’un des premiers écrivains à recenser les dégâts du Progrès. Il comprend que l’homme moderne exploite son milieu sans se soucier de son avenir, seul compte pour lui l’instant présent. L'explosion de l'industrie est aussi pour quelque chose, donnant naissance à cette vision de la nature conçue comme simple réserve des matières premières. D’un côté, la Nature « tout ce qui est, tout ce qui existe dehors de nous : la terre, la mer, le ciel, et tout ce qu’ils contiennent, minéraux, plantes et animaux, livrés à l’homme qui s’en sert » (TH, 39) ; de l’autre côté l’homme qu’il qualifie de pirate : « un homme jeté avec ses appétits vers ces rivages inconnus où l’or attend, c’est-à-dire, la nature sans défense qui attend l’homme » (TH, 39). Pour l’auteur, c’est tout simplement un « duel » où la nature est toujours perdante.

Ses propos se veulent écologistes, même si Ramuz en ignore certainement le terme et l’acception, car la nature reste en filigrane toujours présente dans ses textes. Les problèmes relatifs à l'environnement, selon l’auteur, ont leur origine dans une  mauvaise attitude que l’homme adopte dans ses rapports avec la nature : celle d'un « profiteur », d'un « colonisateur », même d’un « conquérant » empiétant sur elle toujours d’avantage (TH, 44). La nature n’est donc pour l’homme qu’utilité et profit. Ramuz souligne ainsi la prédominance de la valeur économique sur les autres valeurs que la nature possède : l’esthétique ou l’écologique. Où sont donc les limites de l’homme ? Car la question se pose : « Il s’agirait de voir jusqu’à quel point vont aller nos pouvoirs, à nous, les hommes, car ils augmentent sans cesse, tandis que ceux de la nature diminuent d’autant. Voilà la grande question » (Questions 96).

Les hommes et l'environnement sont-ils deux choses séparées? Y en a-t-il une qui domine l'autre? De nos jours, nous constatons que malheureusement, la domination de l'homme sur son environnement est devenue de plus en plus grande. La véritable cause de tout problème écologique provient donc d'une mauvaise perception de la relation que l’homme a établie avec la nature ? Ramuz a sans doute raison : à cause du désir de l'homme qui veut être tout puissant, l’être humain perd le sens de la limite « car la concupiscence de l’homme est infinie ». Ceci justifie alors l'importance d'une certaine « éthique environnementale » qui examinerait les rapports entre l’homme et la nature, en cherchant également à considérer les besoins propres de la nature, pour rappeler à l'homme ses limites. Ramuz propose de considérer autrement tout ce qui n’est pas proprement « humain », mais tout de même sensible, ou qui tout simplement existe, et de lui attribuer autant de valeur.

Les personnages ramuziens prennent ici une place prépondérante et retiennent immédiatement l’attention de l’écocritique : le paysan, le vigneron, le pécheur, l’artisan. Même si ces personnages ne datent pas d’hier, ils illustrent tous un rapport écologique très contemporain avec la Terre. « Paysan qu’est-ce que ça veut dire ? Nature, qu’est-ce que ça veut dire ? Paysan, nature : on sent bien que ces deux mots sont apparentes » (Questions 139). Le paysan chez Ramuz possède une grande capacité d’observation, il est patient et plein de sagesse « tu as été grand (d’une autre grandeur) et tu l’as prouvé » (Taille de l’Homme 65). Il professe un grand respect pour la nature environnante puisqu’il la craint; mais en même temps, il en profite pour apprendre sur elle, en l’interrogeant constamment. C’était, avant tout, sa première source d’inspiration, la seule garante véritable de leur pérennité. Il lui dérobe ainsi ses plus grands secrets, car le paysan d’antan utilisait des moyens que la propre nature lui donnait et qu’aujourd’hui on qualifierait d’écologiques : si la terre était trop maigre, il l’enrichissait avec du fumier (qui est encore une chose naturelle), ayant recours à des outils simples, qui ne sont « que le prolongement des bras et des jambes » (Questions 150), comme la fourche ou le râteau, ou recourant à l’animal qui est encore une force naturelle, quand ses propres forces ne suffisaient pas. Ces hommes-là gardaient un vrai contact avec les êtres et les choses existant en dehors d’eux-mêmes.

Ramuz parle avec regret du déclin de cette paysannerie : « Hèlas ! Peut-être bien que le paysan est une espèce d’homme qui est en train de disparaitre » (Taille de l’Homme, 62). Pour lui, c’est le commencement qui annonce la fin d’une époque : les rapports que l’homme avait avec la nature vont désormais être bouleversés à cause du progrès. La machine à moteur est entrée dans la vie du paysan, supplantant l’outil « le paysan a été et est encore essentiellement l’homme de l’outil, l’homme de ses mains, l’homme non spécialisé » (Taille de l’homme, 62). En cédant chaque jour un peu plus à l’industrie et « en s’industrialisant lui-même » (Questions 109), le paysan perd tout contact avec une nature dont il « dépendait entièrement » (Taille de l’Homme, 63). C’est donc ce changement de mode de vie de la paysannerie que Ramuz met en cause. Ce déclin démarque la culture du vingtième siècle de celle des dix derniers siècles et la rupture de l’homme avec son environnement. 

Chez Ramuz, le regret de voir disparaître une page d’écologie humaine comportant dix millénaires d’histoire agraire, tous ces vieux savoirs des travailleurs de la terre, ne relève pas d’une nostalgie du paradis révolu, comme s’il existait une époque pendant laquelle l’homme et la nature vivaient en harmonie idyllique. Bien au contraire, sa vision va beaucoup plus loin et annonce déjà les effets dévastateurs que l’industrie et le progrès vont provoquer dans la agriculture. Car, d’après lui, « c’est se faire une idée bien fausse de l’homme que de croire par exemple que tout progrès technique soit nécessairement pour lui un gain » (Taille de l’Homme, 37). Toute la nature est donc en danger. Ramuz prévenait déjà contre cette ère industrielle et mécanicienne. Même à ses débuts, il constatait que cette exploitation industrielle et mécanique visé la suppression de la nature, en modifiant la terre, les saisons, les productions agricoles. Il annonçait déjà le début de la mondialisation avec la répartition des pays en différentes zones de cultures, tels qu’on les connait aujourd’hui ; la modification chimique de la terre pour qu’elle produise selon les nécessités ; ou l’altération des productions agricoles en supprimant les saisons, car si le paysan attendait l’été pour faire sa récolte, maintenant « c’est l’été lui-même que nous récoltons toute l’année par nos machines » (Taille de l’Homme 66). Nous n’allons pas nier que l’agriculture moderne a résolu certainement dans le pays industrialisés les insuffisances en termes quantitatifs, ce qui a permis entre autres la sécurité alimentaire, mais à quel prix ? Aujourd’hui, lorsqu’on fait le bilan, les résultats ne sont pas très rassurants. Toute cette technologie, tout ce progrès a causé de graves endommagements dans la planète: destructions des sols, pollutions des eaux et de l’environnement, démantèlement des écosystèmes naturels, perte de la biodiversité, pour n’en citer que quelques-uns. Jusqu’où la nature va-t-elle se laisser faire ? Nous constatons que ce progrès, comme Ramuz l’avait bien prédit, est un couteau à double tranchant, « que la lame qu’ils ont pour leur part aiguisées, finalement s’est retourné contre eux » (Taille de l’homme 10), et contre nous tous !

Comment cette idée se traduit-elle dans ses romans? Ramuz présente dans ses romans une vraie nature toute puissante, violente. Il utilise une approche éco-centrique car il nous montre une réalité où la frontière entre « le vivant » et « le non vivant » n’existe pas. Lorsque les hommes ne tiennent pas compte des limites marquées par la nature, celle-ci est capable de se retourner contre eux, sous la forme de catastrophe naturelle (inondations, avalanches, éboulements, etc.).

La nature laisse faire longtemps, sa victoire est modeste, elle ne la proclame pas, il ne semble même pas qu’elle soit en cause ; on ne voit pas tout de suite  les rapports qu’il y a entre telles catastrophes et son propre refus. La nature opère dans l’ombre avec une amère douceur : tout à coup les conséquences de son opposition éclatent, nées peu à peu et de toute part (Questions 199)

La Grande peur dans la montagne (1926), Derborence (1934) et Si le soleil ne revenait pas (1937) représentent un bon exemple des rapports entre les hommes et son environnement naturel. Derrière une histoire apparemment simple et très régionale, se cache une analyse et une interprétation moderne de la relation que l'homme établit, avec son passé et avec la nature. Il s'arrête en particulier sur l'analyse de la division existante entre les habitants locaux : d'une part, les jeunes audacieux, courageux et intrépides, ignorant les avertissements des plus anciens et qui veulent défier la puissance de la nature ; d'autre part, les plus âgés, dont la mémoire est pleine d’accidents inexpliqués ; ils sont partisans de la tradition et de la modération.

La montagne se présente comme une force qu’on ne doit pas défier. Celui qui ne se soumet pas aux lois qu’elle impose sera puni avec la mort. L’idée d’une nature toute puissante est un sujet récurrent dans son œuvre. Contre cette force naturelle, l'auteur analyse la réponse humaine à travers son caractère irresponsable, inadmissible, dépourvu de limites. Dans La grande peur dans la montagne, la pomme de discorde tourne autour d'un pâturage considéré comme maudit. Les plus jeunes veulent rentabiliser leurs exploitations et décident de réutiliser le pâturage, malgré les avertissements des plus anciens du lieu. Ceux-ci racontent que le pâturage de Sansseneire est abandonné depuis de nombreuses années en raison d’une ancienne tragédie qui provoqua autrefois la mort des troupeaux et des hommes qui les gardaient. Pendant les premières semaines, tout se passe sans aucun problème, jusqu'à ce que la nature et les montagnes, attaquées par cette nouvelle colonisation répondent de la même manière que dans le passé. Réincarnées dans un animal qui rôde la nuit, il répand parmi la communauté du pâturage une maladie qui progressivement infecte tous les animaux, les forçant à être mis en quarantaine. Les gens du village s’isolent des bergers. L'épidémie continue de se propager attaquant les hommes eux-mêmes. Aucune prière, aucune amulette, ne peut contrôler la colère de la nature : « Moi je suis protégé » dit Barthélemy au président- « il a été chercher du bout des doigts sous sa chemise un lacet noir de crasse qui lui pend autour du cou ; il a fait venir à lui une espèce de petit sac ; il a dit : ‘C’est là-dedans’. C’est un papier » (Grande peur 207). Quelques lignes plus tard Apolline explique en quoi consiste cette amulette : « On écrit des choses dessus et puis on va le tremper à Saint-Maurice-du Lac dans le bénitier. Et puis on le coud dans un sachet et puis on se pend le sachet autour du cou… » (209). Mais rien ne l’arrêtera, la montagne sèmera la mort jusqu’au village.

En Derborence, l'étude se concentre sur la période qui a suivi la catastrophe. Dans cette œuvre, Ramuz renverse complètement la relation que les hommes entretiennent avec la nature: les paysans sont décrits comme des gens très humbles qui acceptent inconditionnellement la puissance de la montagne. Telle est leur soumission qu’ils n'hésitent pas à exclure l'un des leurs,  lorsque Antoine revient deux mois plus tard des entrailles de la montagne, après avoir été ensevelie par la chute de l’une de ses parois. Ils ne croient pas qu'il ait pu survivre à sa colère et il est considéré comme une âme en peine, comme un fantôme, un mort vivant. Ramuz intensifie dans ce récit les pouvoirs des croyances et des superstitions : les éboulements en montagne sont causés par le diable lui-même qui habite au-dessus du massif des Diablerets. C’est ainsi que les personnages justifient l'origine de ce phénomène naturel ; ils garantissent également la stabilité d’une réalité existante et ils acceptent leur sort par rapport à leurs préoccupations existentielles sur le vieillissement, la maladie, la mort ou, comme ici, les catastrophes naturelles.

Le rôle de la superstition dans la vie des paysans sera encore développé dans son troisième livre, Si le soleil ne revenait pas. Il raconte l'histoire d'un vieil homme, Anzévui. Les villageois le considèrent un charlatan, un voyant.  Les gens vivent sous un ciel rempli de brume et des nuages​​. À cause de sa situation géographique, caché dans les profondeurs de la vallée, les habitants n'ont pas vu le soleil depuis des mois. Anzévui prédit alors, avec l'aide de ses savants calculs, la fin du monde pour le 13 avril, jour où traditionnellement le soleil fait son apparition au printemps. Tous les villageois sont désorientés par la nouvelle. Certains se réfugient dans la religion, d'autres vendent tout ce qu'ils possèdent, même leurs terres, et dépensent leur argent en boisson. Plus la date fatidique s’approche, plus ils doutent du retour du soleil. On organise même une expédition pour monter au sommet de la montagne et essayer de disperser les nuages ​​et la couche de brume qui empêche la filtration des rayons du soleil. Finalement, le matin du 13 avril, les rayons du soleil traversent les nuages ​​et la fin du monde prédite par Anzévui se réduit à sa propre mort, survenue à l’aube. Ramuz consacre dans ce roman une grande partie de son étude sociale à l'influence que certaines croyances exercent  dans le milieu rural. La puissance psychologique du voyant sur les villageois est si grande qu’il bouleverse les rapports entre les habitants. Se résignant à la fatalité dictée par une force supérieure, ils se soumettent à la prédiction: seul les plus courageux essayent de changer leur destin par une expédition visant la recherche du soleil. Ramuz a divisé à nouveau la communauté en deux groupes: le soumis et les révolutionnaires, qui refusent de laisser le destin du monde entre les mains d'un voyant. Bien que cette fois-ci ce sont les plus téméraires qui ont raison, Ramuz insiste sur le fait que le soleil est de retour parce que la nature a décidé ainsi et pas à cause de leur combat.

Dans ces trois romans sur la montagne, Ramuz aborde des questions importantes qui sous-tendent toute son œuvre: le monde rural et sa relation avec la nature. Tout au long de son existence, l'homme primitif, incarnée par le paysan, prend progressivement conscience de leur pouvoir limité face à la nature. Cet homme, d'abord curieux et désireux d’avancer, de progresser, rejette les conseils des plus anciens et provoque la nature. Après une série de transgressions punis violemment, il s'engage irrévocablement et accepte sa condition. Il se met ainsi du côté des plus sages, et à son tour, il conseille aux plus jeunes. La vie des paysans ramuziens repose sur cet ordre cyclique, un ordre qui est maintenu de génération en génération. Le paysan devient ainsi le gardien des normes et des valeurs éthiques et, d’une certaine façon, l’administrateur de son environnement naturel.


Conclusion

Comment la figure du paysan peut-elle contribuer aujourd’hui à la mise en valeur d’une éthique environnementale ? Descendant de paysans du côté paternel et de vignerons du côté maternel, Ramuz identifie l’esprit paysan qui continue à vivre en lui car il connait bien le métier d’agriculteur et de viticulteur : « J’ai moissonné, j’ai fait les foins, j’ai tendus des toiles, j’ai cloués des caisses ; j’ai fait un peu tous les métiers, j’ai les gouts de tous les métiers » (Journal 176). Chez tous ceux qui vivent une pareille expérience, la paysannerie continue à exister. D’autre part, Ramuz reprend le modèle du paysan pour nous montrer une véritable collectivité naturelle, parfaitement indépendante des autres groupes d’hommes, mais dépendante de la nature. Le paysan, avec sa petite structure agricole, vivait de la terre qu’il cultivait, produisait de denrées de haute qualité nutritive, selon des principes écologiques, et consommait localement. Il préservait ainsi les biens communs indispensables à la survie que sont la terre, l’eau, la biodiversité végétale et animal. Il domestiquait les animaux qui lui étaient utiles et, soutenu par sa famille « dont le travail venait s’ajouter au sien » (Questions 151), il n’avait guère à faire qu’à la nature. L’écrivain vaudois voit dans ses chers paysans qu’il côtoie quotidiennement l’exemple d’une vie à la mesure de l’homme, d’une vie humaine. L’introduction de la mécanique et de l’industrie va modifier à l’extrême, non seulement le mode traditionnel de leur existence, mais aussi les relations établies avec sa famille et son environnement. La figure du paysan d’autrefois sert à l’auteur de modèle à la gestion globale du rapport entre la Terre et l’humanité.

Ramuz avait bien compris que la nature était essentielle non seulement pour la survie de l’homme, mais aussi pour son équilibre : « soit on est engagé continuellement dans la nature avec une moitié de soi-même, ce qui suppose un départage, mais un équilibre de l’être ; soit, on est complétement privé de nature pendant un temps, mais alors il y faut, par compensation, pendant un autre temps, la nature toute entière ». C’est ainsi que l’auteur explique l’apparition des tendances comme le camping ou le nudisme (Questions 178). La nature fait partie de nous-même, et nous faisons partie de la nature. Selon la théorie de la Biophilie (Edward Wilson), l’être humain éprouve une attirance pour la nature, un besoin inné d’établir une relation avec le monde vivant. C’est inscrit dans nos gènes, c’est la mémoire de ses millions d’années où l’homme n’a fait qu’un avec son environnement naturel.

L’homme sans doute peut aller longtemps contre la nature, elle a l’air de se laisser faire, elle se tait, il la croit vaincue, parce qu’elle se tait, il croit l’avoir pliée à ses idéologies ; mais sous le triomphe apparent de l’homme, c’est elle qui est en train de triompher déjà, parce que voilà la famine, voilà les privations de toute sorte, voilà la guerre politique ou civile, voilà le désordre, voilà de toute part l’impossibilité de vivre : alors il faut que l’homme ou bien consente à son propre suicide, ou bien tout à coup tienne compte de certaines nécessités naturelles qu’il avait commencé par nier (Questions 199).

Nous devons donc nous approcher de la terre, nous devons améliorer notre relation avec l’environnement et établir les bases d’une éthique de l’environnement. Voilà donc le principal objectif de l’écocritique. 

Communication présentée lors de la Journée d'études sur "L’invention de la nature : À la croisée des savoirs, des disciplines et des imaginaires". Journée d’étude du 25 octobre 2013 – MISHA, Université de Strasbourg. Publiée dans le Bulletin des Amis de Ramuz nº 35, Université François-Rabelais de Tours, pp. 213-225. ISSN 0293-0773. Abril 2015.

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