lunes, 4 de abril de 2011

Femme et nature en Amérique Latine. Origine et évolution de l’Écoféminisme

Résumé



L'écoféminisme en Amérique Latine est un mouvement récent, pas encore bien défini, construit au fur et à mesure des expériences pour répondre aux menaces spécifiques que le progrès du capitalisme néolibéral a provoquées dans la vie des femmes et de leurs enfants. Ce progrès a abouti à la mise en œuvre de modèles de production et de consommation nuisibles à la nature, aux hommes et aux femmes. Son développement est non seulement très polluant mais aussi la cause directe de la pauvreté, spécialement chez les femmes. Quelles sont les caractéristiques que présente l’écofeminisme en Amérique Latine? Et surtout en quoi consistent les luttes de ces femmes? Ce sont quelques-unes des questions que cet article va tenter de répondre.





L’origine de l’écoféminisme



L’écoféminisme - terme qui fait son apparition en 1974 grâce à la féministe française Françoise D’Eaubonne - est une approche qui chercherait à dévoiler les racines des problèmes environnementaux à travers des facteurs sociaux. Cette écrivaine posera dans son livre Le féminisme ou la mort, les bases théoriques du mouvement, en établissant un parallélisme entre la femme et la nature. À travers d’un discours féministe, elle associe les caractéristiques propres à l’univers féminin aux attributions les plus remarquables de l’environnement. La nature, grâce à son évolution cyclique et à sa capacité de se renouveler constamment, a été historiquement identifiée avec une Terre-mère, dotée de caractères maternels ; une force créatrice et génératrice de toutes les formes de vie existantes sur la planète. Bien que les principes sur l’identification femme-nature remontent aux origines de la culture occidentale, D’Eaubonne fut la première à employer le terme écoféminisme avec une mentalité d’activisme politique et social. Son but ? Décrire la capacité que les femmes possèdent pour être à la tête d’une révolution féministe et écologiste. Une révolution capable de redéfinir les rapports entre hommes et femmes, de réorienter leur avenir et d’insister dans leur interaction avec l’environnement.



Pour cette militante, la domination et l’agression de la femme et de la nature par l’homme seraient à l’origine de la crise actuelle de l’environnement. Car la destruction de ce dernier a des liens directs avec la surpopulation « dont le processus passe directement par la gestion de nos corps confié au Systèmes Mâles » (1974,10). En effet, on considère qu’il existe des liens directs entre la violence patriarcale exercée contre les femmes et la violence contre la nature et les peuples. Cela fût la cause du rassemblement des luttes féministes et écologistes, qui continuent à se battre aujourd’hui ensemble pour transformer la société actuelle ; car, d’après les écoféministes, la sauvegarde de l’humanité passe seulement par une possible mutation féministe de la civilisation.



En 1978 elle fonde le mouvement Ecologie-Féministe qui regroupe les deux domaines des engagements qu’elle a toujours poursuivit. Elle affirme que les hommes se sont appropriés des deux ressources qui ont toujours appartenues aux femmes : l’agriculture et la fécondité. Et que les problèmes actuels, liés à l’épuisement des ressources et à l’explosion démographique, seraient provoqués par les deux révolutions fondatrices du patriarcat (après la surexploitation agricole, la mortelle expansion industrielle). C’est pour cela que les femmes devraient se battre pour récupérer le contrôle de leurs corps et de leurs droits, et elle insiste, dans son ouvrage intitulé Ecologie et féminisme : révolution ou mutation, sur la nécessité « de relier la lutte pour les droits des femmes à celle pour la défense de la nature, violée par le patriarcat » (Silence, 1998). Il ne s’agit point d’instaurer le matriarcat, certes, ni de transférer le pouvoir aux femmes, mais de la destruction du pouvoir par les femmes. C’est ainsi seulement qu’on arrivera à l'issue du tunnel, avec la gestion égalitaire d'un monde à renaître et non plus à protéger. Le but n’est pas du tout de plaindre une illusoire supériorité des femmes sur les hommes, ni même des "valeurs" du féminin qui n'existent que sur un plan culturel et nullement métaphysique; mais d’accepter la revanche des femmes pour éviter la mort planétaire; car leurs intérêts personnels en tant que sexe, regroupent ceux de la communauté humaine, alors que ceux des mâles à titre individuel s'en distinguent. Selon D’Eaubonne, les femmes doivent donc arracher le pouvoir aux hommes afin de le rendre à l'Humanité toute entière (1974, 250). Évidemment, ces analyses se sont beaucoup affinées depuis, en plus de se diversifier dans un foisonnement de tendances militantes et de courants de pensées, comme d’ailleurs l’ensemble des pensées féministes. Mais l’idée principale, à savoir les liens très profonds qui existent entre les causes de la destruction de la nature et celles de l’oppression des femmes, a résisté à l’épreuve du temps.



Françoise D’Eaubonne fut malheureusement peu entendue chez elle. Par contre, ses idées furent écoutées et suivies en Australie et aux États-Unis, où une chaire fut créée sur le sujet de l’écologie-féministe. Le terme « écoféminisme », inventé en France, devint ainsi rapidement adopté par les anglo-saxonnes (USA, Canada. Australie…), mais aussi par les femmes du Monde en développement (Afrique, Asie et Amérique); Vandana Shiva et Ivone Gevara représentent aujourd’hui un exemple d’activisme ecoféminisme en Inde et au Brésil respectivement, pays où elles essaient de le mettre en pratique.



La célébration en Amherst (mars 1980) du premier sommet écoféministe intitulé La femme et la vie sur la terre : conférence sur l’écoféminisme dans les années 80 (Women and Life on Earth : A Conference on Eco-Feminisms in the Eighties) marque la consolidation définitive du mouvement écoféministe. Un groupe de femmes du nord-est des États-Unis, actives dans le mouvement antinucléaire, dans la promotion d'énergies alternatives, de la paix et de la santé de la femme, se sont réunies en août 1979 sous le nom de « Women and life on earth » . Durant cette réunion écoféministe, elles établirent une déclaration de principes: la déclaration d’unité des femmes et la vie sur terre. Maria Mies et Vandana Shiva parlent, dans l’introduction de leur livre Écoféminisme, sur l’importance de cet événement pour le développement du concept de l’écoféminisme ; car, pour la première fois, on y explore les liens entre les objectifs du féminisme et la recherche de solutions écologiques à la crise environnementale. C’est à ce moment aussi qu’on commence à identifier, d’une manière plus explicite, la véritable connexion entre la violence que la société patriarcale exerce sur la femme, les inégalités entre les différents groupes sociaux et la destruction accélérée des ressources naturelles (14). Selon Ynestra King, une des organisatrices de cette conférence:



Eco-feminism is about connectedness and wholeness of theory and practice. It asserts the special strength and integrity of every living thing. For us, the snail darter is to be considered side by side with a community’s need for water, the porpoise side appetite for tuna, and the creatures it might fall on, over Skylab. We are a woman-identified movement, and we believe that we have special work to do in these imperilled times. We see the devastation of the earth and her being by the corporate warriors, and the threat of nuclear annihilation by the military warriors, as feminist concerns. It is the same masculinist mentality which would deny us our right to our own bodies and our own sexuality, and which depends on multiple systems of dominance and state power to have its way (King, 1983: 10) .



Les premières bases théoriques furent donc posées. La réponse des groupes activistes ne se fit pas attendre. En effet, dans les années 80, cette approche environnementaliste devint très populaire. Des alliances se sont créées entre militantes féministes, écologistes et pacifistes, ainsi qu’entre femmes du Nord et du Sud. Une succession de désastres écologiques et environnementaux qui ont eu lieu durant cette décennie, tels que l’accident nucléaire de Three Mile Island aux États-Unis (mars 1979), Seveso en Italie (juillet 1976), Bhopal en Inde (décembre 1984), jouèrent le rôle de catalyseurs. Des associations de femmes commencèrent à jouer un rôle très important dans la lutte active à faveur de la paix et de l’environnement dans le monde entier. Aux États-Unis, par exemple, un groupe de femmes s’est rassemblé autour du Pentagone pour manifester leur opposition à l’utilisation de l’énergie nucléaire et rédiger, au même temps, le premier manifeste écoféministe (Mies/Shiva, 1993 : 17). Également, au cours de cette décennie, le couronnement du mouvement était dirigé par le féminisme culturel (Ruether 1975, Warren 1987), qui réunit d’une manière définitive la libération des femmes avec la protection de l’environnement. Une fois ce départ réussit, la variété de tendances féministes (féminisme libéral, culturel et socialiste) fait un considérable effort de fusion théorique afin d’explorer la nature des rapports entre les êtres humains et le monde naturel et, parfois même, à partir de points de vue divergents, contribuant ainsi au développement de l’écoféminisme (Merchant 1996 :5). En effet, des militantes des quatre coins de la planète ont développé une compréhension globale du système mondial de destruction et d’oppression.



Dans les années 90, les bases du mouvement écoféministe sont déjà bien définies aux États-Unis, en Suède et en Australie. Une variété d'activités et de pratiques sociales seront développées dans des différents pays, visant toutes à apporter des changements sociaux où les femmes s'engageraient à lutter pour assurer leurs propres moyens de subsistance, ceux de leurs familles et de leurs communautés. À cette époque, la tendance dominante prônait qu’on ne pouvait pas être féministe si on ne n’était pas capable de défendre explicitement le monde naturel, ce qui explique pourquoi, bien que provenant de différents mouvements sociaux, les deux écoles de pensée uniront leurs efforts et jetteront les bases d’un changement social : les femmes de différents pays vont se battre contre les effets d’un développement du capitalisme néfaste et du patriarcat, reconnu coupable de la dégradation des relations entre les hommes et les femmes, et la dégradation de la nature. L’une des formulations les plus abouties des analyses écoféministes de cette période est celle de Maria Mies et Vandana Shiva, dans un livre intitulé Écoféminisme, publié en anglais en 1993 et en français en 1998. Maria est une scientifique sociale, du mouvement des femmes. Elle a étudié l’impact que le système capitaliste mondial a sur les femmes du point de vue de quelqu’un qui vit « au cœur de la bête ». Vandana est une physicienne théorique engagée dans le mouvement écologique. Elle a observé ce même système capitaliste mondial à partir de la perspective des gens et de la nature exploités du Sud.



Bien que provenant de deux mondes différents, elles partagent des préoccupations communes qui émergent d’une politique globale invisible dans laquelle les femmes du monde entier sont prises au piège dans leur vie quotidienne. Leur but est non seulement d’aller au-delà de cette perspective étroite du capitaliste-patriarcale qui interprète la différence comme hiérarchique et l’uniformité comme un préalable à l’égalité, mais aussi d’exprimer la diversité ; et, par des voies différentes, de critiquer les inégalités inhérentes aux structures mondiales qui permettent au Nord de dominer le Sud, aux hommes de dominer les femmes, et de piller frénétiquement toujours plus de ressources en vue d’un gain économique distribué toujours plus inégalitairement pour dominer la nature. Un système qui a été construit et se maintient par la colonisation de femmes, de peuples ‘étrangers’ et de leurs terres; et de la nature qu’il détruit graduellement. Elles se sont aperçues que les femmes étaient plus durement frappées que les hommes face à l’impact de désastres et de détériorations écologiques, et aussi, que partout, elles étaient les premières à protester contre la destruction de l’environnement.



Dans les nombreuses luttes locales contre la destruction et la détérioration écologiques toutes les femmes du monde ressentent la même colère, la même anxiété et le même sens des responsabilités pour préserver les bases de la vie, et mettre fin à sa destruction. Elles nous offrent quelques exemples dans l’introduction du livre: ainsi les luttes contre les centrales nucléaires en Allemagne, et contre l’extraction et l’exploitation de la craie dans l’Himalaya; les activités du mouvement de la Ceinture Verte au Kenya et celles de femmes japonaises contre la pollution de la nourriture par une agriculture marchande dopée chimiquement et en faveur de réseaux de producteurs-consommateurs autosuffisants; les efforts des femmes pauvres d’Equateur pour sauver les forêts de mangroves comme lieu de reproduction de poissons et de crevettes, et la bataille contre les intérêts industriels menée par des milliers de femmes dans le Sud pour l’amélioration de la gestion de l’eau, la conservation du sol, l’utilisation de la terre et le maintien de leur base de survie (les forêts, le combustible et le fourrage). Indépendamment des différentes origines raciales, ethniques, culturelles ou de classe, une préoccupation commune a réuni des femmes pour forger des liens de solidarité avec d’autres femmes, d’autres peuples et même avec d’autres nations. De ces actions et réflexions, émergent parfois aussi des analyses, des concepts et des visions similaires.



Dans les pays non occidentaux, en Inde, en Afrique et en Amérique latine, les auteurs écoféministes ont fourni un point de vue différent, basé sur l'expérience quotidienne des femmes dans les régions non-industrialisés, où la reproduction sociale comprend aussi la production de denrées alimentaires et les femmes ont un contact avec la nature grâce à la gestion quotidienne de l'eau, des sols et des forêts. Il s’agit donc d’un mouvement écoféministe différent, plus spirituel qui relie les tendances mystiques de l'écoféminisme classique, mais s’éloignant de la diabolisation des hommes. Vandana Shiva effectue une importante critique du développement technique qui a colonisé le monde occidental.



Les femmes sont celles qui produisent et reproduisent la vie, non seulement d’une manière biologique mais aussi à travers leur rôle social de subvenir aux besoins de leurs familles et de leurs communautés (Vandana, 82). La nature joue le même rôle dans la culture hindoue. La dévaluation et le manque de reconnaissance du travail et la productivité de l´environnement, a conduit à la crise écologique par l'utilisation et l'abus de la nature identifiée comme une simple ressource naturelle. En outre, le manque de considération pour le travail des femmes en tant que « productrices de la vie » a conduit à l'inégalité entre les sexes et au sexisme. Le manque de reconnaissance est le résultat d´un travail silencieux de la part des femmes et de la nature. Vandana Shiva explique que les femmes dans le tiers monde peuvent rendre visible ces catégories dont elles sont les gardiennes, en récupérant le principe féminin. En effet, le rôle principal des femmes serait donc d'arrêter et de surmonter la crise écologique, avec la création de nouveaux paradigmes intellectuels écologiques.



En Amérique latine, on parle de la Mère Terre ou la Pachamama. Le concept même de la Pachamama inclurait certaines fonctionnalités qui existaient déjà dans la cosmologie hindoue : elle est aussi un principe féminin, dynamique, productive, protectrice et réunit autour d’elle toute la diversité. De même, nous voyons que dans la cosmologie andine les humains sont considérés comme partie intégrante de la nature. Ils ne la possèdent pas. C’est ainsi que les femmes des peuples autochtones deviennent les principales victimes, parce que la terre est le lieu où elles plantent et récoltent, recueillent les fruits et le miel, les graines, le bois et les plantes pour l'artisanat. En outre, la terre n'est pas seulement un lieu physique où elles vivent, leurs communautés et leurs ancêtres enterrés ont une signification qui va au-delà de notre compréhension.





L’écoféminisme en Amérique Latine



Mais, comment peut-on relier les apports théoriques de l'écoféminisme à la réalité de l'Amérique latine? D’après Yvone Gevara, l’écoféminisme peut être considéré du point de vue de la philosophie et de la théologie, « comme une sagesse qui tente de restaurer l’écosystème et les femmes » (Gevara, 1996).



Le mouvement théologique écoféministe commence alors à se développer sur les traces laissées par la théologie de la libération . Ce type d'écoféminisme se caractérise par son intérêt sur les femmes pauvres et la défense des peuples autochtones, les principales victimes de la destruction de la nature. En effet, le discours théologique en Amérique latine change radicalement durant les dernières décennies. Dans les années 70 du siècle dernier, la théologie commence à se poser des questions sur les moyens à transformer le monde pour le rendre plus équitable. C’est ainsi qu’un groupe de féministes va réaliser une relecture de la Bible. Elles n’ont non seulement étudié la théologie, mais aussi la philosophie, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la linguistique, l'archéologie, et ainsi de suite. En faisant appel à l'herméneutique du soupçon, elles réalisent aussi une nouvelle lecture de la science, se documentent et prennent le temps de réfléchir. Finalement, elles arrivent à mettre en évidence les conclusions des hommes savants. Elles ont constaté que, avant le monothéisme imposé par le patriarcat, il y avait des groupes qui possédaient un art paléolithique, qui ne peignaient pas de dieux mais des animaux dont ils se nourrissaient ; il y avait aussi des villes sans murailles et sans statues consacrées aux héros. Elles se sont donc demandées si dans ces sociétés personne ne dominait l'autre, s’il n'y avait pas de guerres de conquête, si les relations étaient plutôt horizontales, donc fraternelles.



Elles nous ont montré que dans la plupart des idées conçues sur l'origine du monde les "dieux créateurs" étaient des divinités féminines. Pour ne parler que de l'Amérique précolombienne, la Terre est connue dans l’hémisphère sud sous le nom de Pachamama – Gaia est l’équivalent dans l'hémisphère Nord (Lovelock, 1979; Ruether, 1992). Dans la cosmogonie méso-américaine, Coatlicue était la déesse mère qui donne la vie aux dieux (Marcos, 1991). Dans les récits mythologiques actuels de la Colombie: Bachué est la mère de l'humanité pour les Muiscas; pour les Colima de Tolima Colima la divinité mère est Auxisue, pour les Kogi la mère de l’univers est Haba. Les guajiros ou Wayuus sont les enfants de la déesse Igua (Carbonell).



Aujourd’hui, la théologie écoféministe se concentre sur la justice sociale. On a bien compris que le sort des opprimé(e)s est intimement lié au sort de la Terre, planète vivante, vulnérable au comportement destructeur des hommes. D’après Gevara, l’écoféminisme a deux objectifs : d’abord, se compromettre avec tous les opprimés dont leur voix, tout au long de l’Histoire, a été réduit au silence ; avec ceux qui dès la naissance se retrouvent de facto exclus d'une vie pleine en raison de leur situation économique. Puis, chercher à mettre fin à l’oppression patriarcale sous toutes ses formes.



Les paradigmes anthropologiques et cosmologiques de la théologie écoféministe impliquent un remaniement de l'image des êtres humains dans le Cosmos. Rectifier cela ferait changer l'image de Dieu, car toute image de Dieu n'est rien d'autre que l'image de l'expérience ou la compréhension que nous avons de nous-mêmes. Il est nécessaire de replacer l'être humain à l’intérieur du Cosmos et non pas en position dominante. Malheureusement, ceci est fort incompatible avec l'anthropologie chrétienne qui insiste sur une humanité maîtresse de la planète, à l’image de son Dieu / Seigneur de toute la création. Ce Dieu-créateur qui aurait donné à l'homme l'ordre de remplir et de dominer la Terre, et donc, qui aurait légitimé le droit de l'homme à en abuser (Gevara, 1993).



Les bases du patriarcat sont fondées sur ce droit à la violence sur la Terre et, par conséquent, de tous les abus qui ont abouti à l'exclusion du 90 pour cent de la population mondiale – ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des caractéristiques similaires aux patriarches qui détiennent le pouvoir, c’est-à-dire, des mâles, blancs, riches, urbains, avec une formation universitaire, saines et hétérosexuels. Ce 90 pour cent comprend toutes les personnes pauvres : les femmes, les Noirs, les Indiens, les personnes âgées, les enfants, les analphabètes, ceux qui n'ont aucune formation ou qui ne sont pas en bonne santé, les minorités sexuelles et mêmes les parents monoparentaux.



Même si l’influence de l’écoféminisme dans les cercles intellectuels et religieux de l’Amérique Latine fut relativement faible, les liens entre féminisme et écologie ont cependant toujours été multiples et variés. Aujourd’hui, il est donc possible d’affirmer l’existence des écoféminismes en Amérique Latine. Il existe une variété de petits groupes coexistant dans certains pays : le Chili, le Brésil, le Mexique, l’Uruguay, la Bolivie, l’Argentine, le Pérou et le Venezuela. L’idée de construire un réseau latino-américain écoféministe est tout à fait réelle. Un réseau complet qui développerait non seulement les aspects de la spiritualité et la théologie, mais aussi d’autres questions concernant la vie quotidienne.



L'un des groupes éco-féministes le plus important en Amérique latine est le collectif « Con-spirando », dont le siège se trouve à Santiago, au Chili. Elles se définissent comme « un groupe de femmes en quête de nouvelles perspectives dans les domaines de la spiritualité, l'éthique, la théologie, la politique, la mémoire, le corps et la vie quotidienne ». Faisant preuve de beaucoup d’effort et de courage, elles fondent en 1992 la revue de spiritualité, écoféminisme et théologie Con-spirando, contribuant ainsi au développement de l’écoféminisme latino-américain. Avec la publication de cette revue, elles cherchent aussi des espaces pour se rencontrer et se réunir en tant que femmes d'horizons divers à fin de partager des questions et des réflexions; les résultats de ces rencontres aboutissent à la création des Jardins partagés , puis aux Ecoles latino-américaines de l'éthique, la spiritualité et l'écoféminisme . Elles se basent sur un modèle méthodologique de Trans-formation culturelle, qui provient des expériences ramassées ces dernières années dans les ateliers et dans les rencontres avec des femmes. Les résultats les plus importants sont la série de modules d'enseignement: «Notre corps, notre territoire », et « Liens ». Dix-sept ans plus tard, ces femmes nous invitent toujours à examiner les processus de construction collective de nouvelles idées, à être aussi présentes dans le contexte actuel et à développer notre auto-soin.



Con-spirando a toujours été un espace d'intersection, transit, seuil, frontière, un espace privé qui relie des mondes différents, le milieu universitaire, le féminisme, l'église, la spiritualité, la politique, le corps, la mémoire et l'intérieur et l'extérieur.



Nous pouvons citer d’autres exemples. À Santo André, au Brésil, les femmes se sont mobilisées contre les industries polluantes de la banlieue de San Paolo. Elles ont créé le groupe écologie Consciencia pour lutter contre la pollution atmosphérique d'environ onze usines appartenant à des sociétés multinationales. Après un long processus de sensibilisation, elles ont réussi à mobiliser l'opinion publique à travers la télévision et même la radio. La pression exercée sur les autorités locales et l'industrie a obligé à celles-ci à investir dans la lutte contre la pollution afin qu’elle soit contrôlée. Puis, avec d'autres organisations environnementales dans la région, elles ont lancé une initiative plus vaste, qui exigeait à d'autres multinationales, qui polluaient à leur tour l'eau de la rivière, à respecter l'environnement. Au même temps, elles ont continué à informer le public sur les risques de pollution et la nécessité d'une connexion d'éthique entre la population et les industries, avec une vision large, non seulement régional mais mondial.


Conclusion



Historiquement, l'écoféminisme a suivi un développement très hétérogène, avec de nombreuses nuances. On ne peut parler d’un seul et unique écoféminisme, mais des écoféminismes au pluriel. Cependant, tous ces mouvements soutiennent la même thèse: il faut, d’abord, réagir le plus vite possible à la crise écologique tout en dénonçant l'abus et l'utilisation que l’on a faite de la nature et des femmes, toujours traitées comme des objets. Dès lors, le mouvement commence à se diversifier.



En effet, l'écoféminisme est un courant de pensée multiple et en pleine formation. On est allé jusqu’à affirmer qu'il y avait autant de positionnements que de théoriciennes de l'écoféminisme. D’après une étude réalisée par A. Puleo , on peut distinguer en gros trois grandes lignes de la pensée écoféministe basées sur la manière de comprendre l'identité féminine et la relation de l'homme avec la nature. La première, dite « classique », provient du féminisme radical. Elle se charge de récupérer l'identification patriarcale des femmes et de la nature pour leur donner un nouveau sens. Ce type d'écoféminisme considère que la culture masculine, obsédée par le pouvoir, a conduit à l'empoisonnement des terres, de l'eau et de l'air. La deuxième, plus « spirituelle » est liée à la tendance mystique de l'écoféminisme classique, mais il s’éloigne de la diabolisation des hommes. Elle estime que les femmes seraient biologiquement ou ontologiquement plus proches de la nature. Et la troisième, « constructiviste », ne partage pas l'essentialisme de l'écoféminisme classique, ni se nourrit dans les sources religieuses de la spiritualité du tiers monde mais elle partage certaines de leurs positions, telles que l'antiracisme, anti-anthropocentrisme, etc. Elle considère que l'interaction avec l’environnement favorise la sensibilisation vers la nature et non les caractéristiques propres du genre. Ce courant met aussi l'accent sur les conditions historiques et économiques.



Aujourd’hui, il est nécessaire de redoubler les efforts pour intégrer la voix des femmes dans le développement durable. Elles ont mérité le droit à se prononcer sur la façon dont le monde fonctionne. Fortes de leurs nouvelles expériences, les femmes veulent être entendues, elles veulent également que l’on tienne compte de leur l'expérience acquise et souhaitent développer et promouvoir une philosophie différente, prônant qu’une autre organisation du monde est possible. Le développement durable ne peut être ignoré et certaines femmes lui ont déjà donné la place qu’il mérite. Il est ainsi devenu la base de leurs pensées et leurs actions. Les femmes du monde entier ont commencé à élaborer un nouveau «Programme d'action des femmes pour une planète saine et pacifique 2015 ».





Bibliographie



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