Les études de la
littérature et de l'environnement ont abouti, au début des années 1990, à la
création d'une nouvelle école critique littéraire : l’écocritique. Née au
sein des universités de l’Ouest des États-Unis, elle s’est rapidement répandue
dans le monde académique anglo-saxon. Aujourd’hui, l'association fondatrice de
l'ecocritique, l'Association for the Study of Literature and Environment
(ASLE) réunit plus de 1300 membres et elle a créé des branches internationales en
Australie, au Canada, en Corée, en Europe, en Inde, au Japon et en
Nouvelle-Zelande. L’écocritique adopte une approche centrée sur la Terre aux
études littéraires. Il s’agit d’une façon de relire les textes littéraires d’un
point de vue particulier, celui de l’environnement, et ainsi d’en bousculer la
réception convenue. L'environnement et la vision de la nature deviennent des
éléments nouveaux pour l'analyse de textes. Elle se présente aussi comme un
nouveau domaine disciplinaire qui abandonne cette division traditionnelle entre
les sciences et les lettres, car on estime fondamental de joindre à la vision
de la nature littéraire, une vision scientifique et écologique. Cette idée de
connexion s’applique également aux différentes disciplines de la connaissance
que l’écocritique tente d’associer, cherchant des terrains d’entente qui permettront
de comprendre ces paradigmes erronés sur lesquels se fondaient les mythes du
progrès et du développement. Un vaste domaine interdisciplinaire s'ouvre ainsi devant
nous, la relation des études littéraires et discours écologique par rapport à d'autres
disciplines connexes telles que l'anthropologie, la philosophie, la sociologie,
la psychologie et l'éthique.
De nos jours, la
reconnaissance des activités humaines - qui endommagent gravement les systèmes
de récupération primaires de la planète-
encourage un désir sincère de contribuer à la récupération environnementale. La
littérature constitue un formidable défi sur l’imaginaire par rapport à tout ce
qui concerne la nature. Toute œuvre de fiction, de n’importe quel genre, est
construite dans un cadre naturel ou civilisé, où les hommes cohabitent. L’écocritique
permet de recueillir, d'analyser et de comprendre les différentes modalités
d'interaction des hommes avec leur habitat. Ses caractéristiques principales
sont donc l'utilisation de concepts de l'écologie appliqués aux compositions
littéraires et le compromis de créer une conscience écologique à travers la
littérature. L’écocritique cherche à nous approcher de la terre et nous
enseigne comment améliorer notre relation avec l'environnement.
Le lecteur écocritique
se pose alors des questions sur le rôle que l'environnement joue dans une œuvre
littéraire ; il examine si les valeurs exprimées dans un récit sont
compatibles avec la sagesse écologique ; ou si les métaphores que nous
utilisons pour designer notre environnement influencent la façon dont nous
traitons la nature. L’environnement, la vision de la nature et le lieu, ne
devraient-ils pas devenir une nouvelle catégorie d’analyse de la littérature,
tout comme l’ont fait à une époque la race, la classe et le genre ? On étudie,
par exemple, comment la crise environnementale a commencé à être considérée
dans la littérature, et comment les œuvres littéraires et le langage influencent
la façon dont nous parlons à/de l'environnement.
Selon Cheryll
Glotfelty, les étapes que l’écocritique a suivi (et suivra) sont très
similaires à celles rapportées par Elaine Showalter dans l'évolution du
féminisme. Au début, on recherche des images de la nature dans la littérature
classique, l'identification des stéréotypes (Eden, Arcadie, Paradis, etc.) ou
des absences importantes ; dans un deuxième temps on récupère la tradition
marginalisée de textes écrits à partir de la nature; enfin, il s'ensuit une phase
théorique, préoccupée par les constructions littéraires d'êtres humains en
fonction de leur environnement naturel, d'où l'intérêt poétique liée à des
mouvements comme l'écologie et l'écoféminisme.
Si le monde anglo-saxon
a connu un véritable essor des essais éco-critique (cf. bibliographie), les
pays francophones ne font que débuter dans ce vaste domaine. Même si l’écriture
de la nature en Europe n’est pas ancrée dans une tradition aussi profonde qu’en
Etats-Unis, elle n’en est pas moins riche ou intéressante. Dans la Suisse francophone,
il y a beaucoup d'écrivains dont les œuvres pourraient être analysées d'un point
de vue écocritique. Nous pensons notamment à Edouard Rod, qui dénonce la
dégradation du paysage alpin dans son œuvre « Là-haut » ; à C.F.
Ramuz et sa vision d’une nature en colère contre la cupidité humaine (« Derborence », « La grande
peur dans la montagne » ou « Si le soleil ne revenait pas ») ;
à Maurice Chappaz et son combat écologique (« Le Maquéreux des cimes
Blanches ») ; ou à la omniprésence de la forêt chez Corinna Bille, pour
ne nommer que quelques exemples.
L’ecocritique fait
son chemin lentement dans le milieu académique de l'université européenne. Les
avantages que présente cette nouvelle théorie dans l'enseignement de la
littérature sont certainement nombreux: elle donne une nouvelle vision des
textes étudiés; elle contribue à sa manière à la guérison du respect pour la
nature ; elle rétablit ce lien entre la terre et ses habitants et,
surtout, elle contribue à créer une relation plus étroite avec notre planète.
C. Glotfelty et H. Fromm (dir.), The ecocriticism reader, Univ.
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Article paru dans le Journal romand d'ecologie politique "Moins" nº 8 Novembre-Décembre 2013. Vevey- Suisse.
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