Cent cinquante-quatre ans ont passé depuis
la première ascension au Cervin par la cordée formée par Edward Whymper (1840-1911)
et de la tragédie qui en a résulté. L'alpinisme a beaucoup changé depuis et le caractère
original inexploré et peut-être inaccessible des Alpes et de presque toutes les
montagnes du monde a également été perdu. Mais la silhouette du Cervin est toujours
là, éclatante et belle, en tant que référence géographique, esthétique et
alpiniste, focalisant de façon magique le regard des excursionnistes et attirant
les alpinistes qui souhaitent le conquérir, en tant que paysage et en tant que défi. Si
les Alpes sont le canon des montagnes, le Cervin est le modèle de la montagne
élancée, du pic pointu, de la beauté pyramidale de la nature, de la dent de la
terre. Sanctuaire de la montagne et de l'alpinisme. Si le Cervin n'existait
pas, la Terre ne serait pas si magnifique, si grande, si exigeante et
inaccessible, même si raffinée. C’est la montagne des montagnes, la plus
photographiée au monde. Le mythe et l’emblème des alpinistes comme des
photographes. L’image de marque et le symbole de la Suisse.
A l'instar du Cervin, l'œuvre de Joseph
Peyré, Matterhorn, n'a rien perdu de son intérêt et reste aussi moderne
qu'il y a presque un siècle. Elle continue à nous faire rêver dès sa
première page:
Rumeur d’abeilles dans les mélèzes, le bourdonnement
des prières étourdissait la rue sombre de Zermatt. La procession allait quitter
le reposoir dressé entre le musée des victimes du Matterhorn et le
‘‘Mont-Cervin’’ pavoisé aux couleurs rouge et blanc, vert et noir, rouge et
noir des cantons, et poursuivre sa lente route[2].
Mais d’où vient cet intérêt de Joseph Peyré
pour les Alpes ? Quelle est l’origine de cette admiration pour cette
chaîne de montagnes et surtout pour l’alpinisme, - un sport qu’il n’a,
d’ailleurs, jamais pratiqué ? [3]. Passionné
d’escalade et d’alpinisme et admirateur des pionniers des sommets, Joseph Peyré
nourrit depuis l’enfance une passion viscérale pour la haute montagne. En fait,
la montagne a toujours fait partie de la vie de l’auteur. Les Pyrénées ont
toujours été présents dans l’horizon de Joseph Peyré, mais en s’approchant des
Alpes, ce passionné des altitudes, va apporter sa petite graine à un nouveau
genre de roman : le roman de montagne[4]. La
conquête des sommets et l’esprit qui y règne lui fournissent un sujet à sa mesure :
les Alpes deviennent le théâtre où l'homme se magnifie et se grandit[5]. Inspiré donc
par le pic du Midi d’Ossau, son « Cervin » pyrénéen, le Béarnais se transporte
dans les Alpes d’où il revient avec Matterhorn en 1939. Mais, retournons
à la source…
[...]
Joseph Peyré, humaniste universel. Dolores Thion
Soriano-Mollá (éds). Capítulo: “Joseph Peyré, pionnier du roman d’alpinisme”. Ed.
L’Harmattan, Classiques pour demain, pp. 77-88, 2020.
[1] De Saussure, H.B. Voyage dans les Alpes. Des Voyages
en Valais, au Mont Cervin et autour du Mont-Rose. Seconde édition
augmentée. Paris: Joël Cherbuliez, 1852, p. 363.
[2] Peyré, Joseph. Matterhorn. Paris: Grasset, Les
Cahiers Rouges, 1939, p. 15.
[3] Michel Ballerini, compare le cas d’Henri Troyat avec
celui de Joseph Peyré : « l’un et l’autre n’ont jamais pratiqué
l’alpinisme, mais l’un et l’autre ont écrit des œuvres qui comptent parmi les
meilleures de la littérature alpine romanesque. » (Le Roman de montagne en
France, 1973)
[4] Si les débuts de la littérature de montagne ou
d’alpinisme ne sont pas tout à fait clairs, selon Michel Ballerini, le début de
la littérature himalayiste se produit avec la parution de Mont Everest
de Joseph Peyré en 1942 (Gilles Mossière).
[5] Même Roger Frison-Roche, un vrai montagnard, lui,
auteur de best-sellers sur le sujet, disait avoir trouvé en lui un maître et un
inspirateur.
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