Cumbres de Espanto, 1930
Montserrat López Mújica
UAH-GIECO-Instituto Franklin
En 1926, C.F. Ramuz écrit l'un de ses romans les plus connus, "La Grande Peur dans la montagne". Ce n'est que quatre ans plus tard et sous le titre de "Cumbres de espanto" que la maison d'édition CENIT[1] publie sa traduction en Espagne. Il s'agit de la première œuvre de C.F. Ramuz traduite à l’espagnol. Plusieurs journaux de l'époque ont annoncé cet événement dans leurs pages. Ainsi, le 14 juin 1930, dans le journal La Libertad (Année XII nº 3195) est apparue sous le titre "Nouveaux livres étrangers" Cumbres de espanto de C.F. Ramuz ; le 26 octobre 1930 le journal El Sol de Madrid présente l'œuvre accompagnée d'une courte note sur l'auteur : « L'écrivain qui exerce actuellement la plus grande influence sur le mouvement intellectuel de la jeunesse du prolétariat français » ; le 29 octobre 1930 dans La Tierra : organe de l'Asociación de labradores y ganaderos del Alto Aragón (Année X nº 2881) le livre de Ramuz était annoncé dans la rubrique "Intéressantes nouveautés littéraires" où, avec le titre et le nom de l'auteur, apparaissait le prix de l'ouvrage : 5 pesetas ; et le 8 octobre 1930, dans une page spéciale intitulée "La Fiesta del libro" publiée dans le journal La Libertad, la maison d'édition CENIT elle-même annonçait son Catalogue des œuvres publiées : « Los libros de nuestra época », où l'on pouvait lire : Cumbres de espanto : de C.F. Ramuz, traduction directe du français par José María Quiroga[2], 252 pages, 5 pesetas. Pour en citer seulement quelques-uns.
Cependant, la partie la plus pertinente de cette
publication est peut-être la présentation que l'éditeur lui-même fait de C.F.
Ramuz dans l'introduction de l'ouvrage et dont nous reproduisons ici sa
traduction pour le plaisir de nos lecteurs. Voici l'image que C.F. Ramuz avait dans
l'Espagne des années 30 :
Peu d'écrivains de la scène
romanesque européenne contemporaine sont aussi intéressants que le romancier
suisse francophone C. F. Ramuz, qui a reçu il y a quelques mois le "Prix
Romand" (400 000 francs), institué spécialement en hommage à l'œuvre abondante
de l'écrivain par ses contemporains et admirateurs. Etudié et applaudi avec le
même enthousiasme, en France, par des secteurs aussi opposés que l'avant-garde
littéraire catholique et des revues d'extrême gauche comme Monde, éditée par
Barbusse, la personnalité de Ramuz n'a cessé de franchir les frontières de sa
patrie, gagnant la dévotion d'un - modeste - public d'écrivains prestigieux,
d'une part, et, d'autre part, sans intermédiaire, d'un cercle toujours plus
large de lecteurs appartenant au peuple. Son influence sur le mouvement
intellectuel de la jeunesse du prolétariat français est aussi profonde que
réfléchie. Les raisons de cette influence, ainsi que du caractère de son
public, ne sont pas, comme on pourrait le penser, que son œuvre réponde à un
certain credo politique ou religieux. Ramuz, qui ne veut rien savoir des
"bourgeois de Paris" - dont il rejette même la langue - reste
d'ailleurs aussi éloigné des communistes que des catholiques. Éloigné, non pas
dans une tour d'ivoire, mais au cœur de son canton de Vaux, parmi les paysans
vaudois. Il y écrit par nécessité, "non pas tant pour s'exprimer que pour
s'adresser aux êtres, et, à travers les êtres, à l'être, simplement, à travers
soi-même".
C'est là que réside - comme l'a
souligné à juste titre H. Poulaille, le jeune écrivain prolétaire - la valeur
sociale de son œuvre. Contrairement au romancier habituel, qui élabore dans son
atelier, dans son laboratoire de livres, des histoires sans substance pour
amuser les loisirs d'une classe irrémédiablement dépassée, Ramuz aspire à être,
ni plus ni moins, "l'expression d'une nature", de "quelques
hommes", la nature au milieu de laquelle il vit, les vignerons, les
éleveurs, les villageois, dont il partage l'existence. La campagne et les
hommes de la campagne ne sont pas pour lui, comme pour le romancier bourgeois,
une scène, des figures pittoresques, mais la raison d'être de son art. Pour
mieux exprimer cette nature, ces hommes, il tourne délibérément le dos à la
rhétorique traditionnelle, consacrée par le bon goût, et cherche ses moyens
d'expression dans la tradition orale de son peuple. Ainsi, il écrit, en fait,
comme les gens qui l'entourent parlent. En ce sens, son art n'est pas de la
littérature - du moins pas ce que les manuels littéraires conçoivent comme tel. Mais
c'est, d'autre part, quelque chose de plus grand et de plus important : une
parole vivante, un art vivant, dans lequel la correspondance fidèle entre la
réalité et le langage qui exprime cette réalité est réalisée au prix de la
littérature avant tout, de la correction même. L'auteur nous
"raconte" le paysage dans lequel évoluent ses créatures, leur vie quotidienne.
Et avec une telle authenticité, une telle simplicité, que toute apparence de
fiction disparaît et que l'on se retrouve plongé dans la vie même du peuple, on
redécouvre en soi l'homme essentiel, rendus à la solidarité humaine
universelle. Le
caractère de son œuvre, ainsi que ses indéniables talents de créateur et de
narrateur, ont permis à Ramuz d'être considéré à juste titre comme l'un des
plus grands romanciers actuels de la langue française. Ses valeurs humaines et
esthétiques exceptionnelles justifient donc amplement notre choix, nous
poussant à présenter au public espagnol, traduit pour la première fois dans
notre langue, une œuvre d'une catégorie aussi exceptionnelle.
RAMUZ, Charles
Ferdinand. Cumbres de espanto. Novela. Traducción de José María Quiroga
Pla. Cubierta de Puyol. Cenit, Col. Prosistas Extranjeros Contemporáneos, 1930,
Madrid. 20x13. 252 pp.
[1] La maison d’édition CENIT
fut fondée par Rafael Giménez Siles, Graco Marsá y Juan Andrade Rodríguez, en
1929. Sa vie fut courte (de 1929 à juin 1936) mais très intense car ils ont
publié à peu près 225 livres. Elle siégeait au 55 de la rue Lagasca à Madrid.
[2] Quiroga Pla, José María.
Madrid, IV.1902 – Genève (Suisse), 28.III.1955. Écrivain, traducteur e
essayiste.
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