miércoles, 1 de agosto de 2018

L’INDUSTRIALISATION DES ALPES AU PRISME DE LA LITTÉRATURE

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Que reste-t-il aujourd’hui du mythe des Alpes? Il y existe un antagonisme entre notre civilisation technique -qui promeut la croissance, la mobilité et les loisirs -et la région alpine, domestiquée pour être aujourd’hui rentable et productive. Si les touristes viennent dans les Alpes pour découvrir la beauté des paysages, pourquoi ce patrimoine est-il si maltraité? Trouver le juste équilibre entre identité et modernité est devenu très complexe dans les Alpes en général et en Suisse en particulier. Les intérêts économiques passent presque toujours avant lesintérêts de la nature et du paysage, et le risque de la transformation des Alpes en un énorme parc d'attraction est réel. On peut trouver des traces de ces tensions dans la littérature passée et présente, par exemple avec les œuvres de Maurice Chappaz ou le plus récent Estivede Blaise Hofmann.

Nombreux sont les auteurs romands qui ont dévoilé à travers leurs écrits les problèmes que le tourisme et ses infrastructures ont provoqués dans les paysages de leurs cantons. L’écrivain vaudois Edouard Rod (1857-1910) condamnait déjà dans son roman Là-haut(1897) la dégradation du paysage alpin du Valais à la fin du XIXe siècle. Il anticipait ainsi les préoccupations environnementales dues au changement et à la destruction des modes de vie ancestraux. Là-Hautest un récit quasi prophétique sur l’évolution du tourisme en Valais: les descriptions des paysages magnifiques, des conditions dures de cette vie paysanne et des gens de la montagne, tentés par l’argent facile, sont d’une actualité saisissante: «Ceux qui verraient clair dans ce mystère gagneraient plus d’argent en deux ou trois ans […] que leurs pères n’en avaient économisé en six générations de travail et d’économie». À cette époque, la haute-montagne commence à être rentabilisé par le tourisme: on devient hôtelier, guide, transporteur. Les Alpes cessent d’être un monde de terreurs et de désintérêt pour devenir un gagne-pain et, petit à petit, la physionomie si caractéristique des villages suisses disparaît.

L’écrivain vaudois C.F. Ramuz (1878-1947), témoin desprofondes transformations des paysages alpins, montre également son soutien aux mouvements de protection de la nature qui font leur apparition au début du XXe siècle, en s’attaquant à l'industrie du tourisme et en particulier aux hôteliers:
Il y a déjà assez en Suisse de ces aventuriers qui font fortune en attirant chez nous nos voisins dont ils vident les poches. Il me tarde de voir les Alpes purgés de ces fantoches embarrassants, armés de piolets, accompagnés d’une bande de miss en jupes courtes et d’unecaravane de guides. Il me tarde de voir la Suisse rendue à ses habitants, à ses citoyens. Il me tarde de voir disparaître le cosmopolitisme qui, non content de détruire chez nous les vieilles mœurs et les vieilles coutumes, tend chaque jour à dégrader notre peuple jusqu’ici si probe. Je voudrais voir en une seule nuit tous les hôtels détruits. Les hôteliers, on en fera des manœuvres, des ouvriers, des artisans. Ils seraient alors plus utiles à la Suisse, ils travailleraient à sa prospérité, au lieu de travailler à sa ruine, à sa perdition peut-être.

A partir des années 1950, le poète valaisan Maurice Chappaz va faire prendre conscience aux Valaisans que les Alpes sont plus qu’une simple ressource économique à surexploiter, et qu’elles doivent être protégées et respectées. Chappaz a été le premier écrivain qui a osé dénoncer dans Le Match Valais -Judée(1968) et surtout dans Les Maquereaux des cimes blanches(1976) les conséquences néfastes du progrès: «On a pu exploiter, d’une façon effrénée les ressourcesnaturelles d’un pays. Et le Valais était un morceau de choix, un morceau de rois pour les spéculateurs.»

Face aux dommages causés par le tourisme, le pillage des terres et la spéculation immobilière, Chappaz se sent dans l’obligation d'exprimer son dégoût et sa douleur. Angoissé parce qu’il pressent la catastrophe: sous ses yeux, un certain Valais meurt, transformé sans pudeurs ni mesure. Le poète remplit la fonction de «témoin du cœur, contre le mensonge des robots et des trafiquants».

Chappaz va ainsi secouer la société valaisanne, le monde politique et économique de l'époque et se battre pour préserver le paysage qu’il affectionne autant. Ce qui était d’abord un acte de célébration devient un acte de résistance, par exemple dans le texte qui accompagnela deuxième édition de Les Maquereaux des cimes blanches, dont le titre est déjà très révélateur La Haine du passé(1984):
«Chez nous la mise aux enchères des montagnes et des névés à coups de députés n'en finit pas. Et que je te balance un câble! Et que je t'enfonce mes trax! Et que j'évapore le Rhône et que je te rescie une forêt! [...] En images d'Epinal, en dessins animés je raconte une fin du monde. Ce que l'on a construit dans tous les coins c'est une Tour de Babel en mille morceaux.»

Une relation d'amour et de haine s’établit par la suite entre le poète et les habitants du Valais. Les écrits de Chappaz provoqueront des réactions controversées parmi ses concitoyens. D'une part, l'indignation de la bonne société valaisanne qui participe activement  à la folie touristique des années 60 et 70. D’autre part, le soutien inconditionnel de ceux qui s’identifient pleinement à sa cause et trouvent dans ses mots le courage nécessaire pour protester contre la construction de villes dans les montagnes.

Aujourd’hui, face à des problèmes qui concernent l’ensemble de la chaîne, les Alpes essaient de se réorganiser; certaines associations se sont créées (Pro Vita Alpina, L'initiative des Alpes, agriculture «labellisée», etc.); les États alpins ont signé en 1991 une convention sur la protection d’un patrimoine considéré vital pour l’Europe, La Convention alpine, qui considère le massif comme le dernier domaine européen doté d’une nature encore naturelle. Le débat sur le suréquipement touristique et la défiguration du paysage est indispensable aujourd’hui, surtout lorsqu’on continue à vendre la montagne sur des images de nature inviolée! Si la tendance continue, l‘impact qu’aura l’évolution de l’économie des loisirs et du tourisme sur la nature et le paysage desAlpes devrait être bien plus important que les altérations naturelles découlant, par exemple, du changement climatique.

Cette problématique de l’expansion du tourisme est traitée sous un angle très intéressant dans le récit Estivepublié en 2007 par l’écrivain suisse Blaise Hoffmann. Estiveest la chronique d’un été passé en tant que berger dans les Préalpes vaudoises. Hoffmann se confronte seul à l’immensité de cet espace sauvage. Il évoque la beauté des montagnes, mais aussi ses laideurs, en interpellantla dysneylandisation des Alpes. Il distille aussi des réflexions, souvent ironiques, sur la montagne et sa mythologie, ou ce qu'elle est devenue:
Leysin, station fun, propose escalade, canyoning, mountain bike,randonnée, promenade à dos de mulet, rafting, pêche en rivière, piscine, tennis, hockey, karting sur glace, raquettes, squash, aérobic, parapente, via ferrata, héliski, cheval, poney, ping-pong, football, beach-volley, parcours vita, minigolf, musculation, aquagym, tir au pigeon d’argile, parc à biche, quad, télécabines, télésièges, téléskis, freestyle park, halfpipe et superpipe. À la Hiking Sheep Bergerie backpacker, le lit en dortoirs coûte trente francs.

La critique politique n’est pas loin et Hofmann rejoint les propos de Maurice Chappaz qui rappelait «la grande vente du Valais»:
Tous au village ont récupéré à leur compte le mythe alpin. Les autochtones, en vendant leurs produits avec une plus-value de tradition. Les acteurs touristiques, en exploitant la virginité illusoire des Alpes pour vendre des nuitées. Les patriotes, en faisant des Alpes une référence inaltérable au pacte initial.
Les écologistes, en défendant l’idée d’un terrain fragile et riche qu’il faut préserver de toute intrusion moderne.
Hoffman va cependant plus loin et demande la démythification complète des Alpes: «Il est temps de décoloniser les montagnes de leurs chimères, de se défaire des illusions qui constituent notre suissitude, cet objet de marketing», mettant en cause le grand récit identitaire suisse: «Il n’y a rien dans les Alpes d’essentiel. C’est du relief qui traverse l’Europe en se foutant des frontières». Il jette un regard plein d’ironie et de désillusion sur ce que sont devenues les Alpes et nous montre le vrai visage d’une montagne qui se théâtralise «les Alpes sont le terrain de jeu de l’Europe. Elles se regardent au travers d’une fenêtre que l’on ouvre et referme».


Article publié dans la revue Moins nº 35. Journal Romand d’écologie politique. Artículo: “L’industrialisation des Alpes au prisme de la littérature”. Vevey-Suiza, Junio-Julio 2018. ISSN: 2296-0414.


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