domingo, 23 de febrero de 2020

« Rencontres littéraires autour du vin suisse : C.F. Ramuz, Maurice Chappaz et Corinne Bille »


Résumé




Au fil des siècles, les Vaudois et les Valaisans ont su s'adapter à la nature indomptable qui les entoure, sculptant de leurs propres mains les pentes abruptes de leurs montagnes et les transformant en terrasses fertiles qui abritent aujourd'hui les vignes les plus variées. Le vin et le vignoble de ces coteaux escarpés sont très présents dans la vie et l'œuvre d'auteurs aussi connus que C.F. Ramuz, Maurice Chappaz et Corinne Bille.

Il est impensable d'imaginer un écrivain comme C. F. Ramuz sans vignes. Il faudrait se passer à la fois de sa biographie et de son travail ; il faudrait oublier qu'il était le fils d'un marchand de produits coloniaux devenu grossiste en vins des années plus tard ; qu'il était encore très jeune étudiant quand il participait aux vendanges à Yvorne ; qu'à son retour de Paris il habitait une vieille maison des vignes à Treytorrens, où s’est déroulé sa rencontre décisive avec Stravinsky, sous le double symbole "du pain et du vin d'ici". Le vin et la vigne sont très présents, non seulement dans ses œuvres les plus inspirées, comme Vendanges, Chant de Notre-Rhône ou Souvenirs d'Igor Strawisky, mais aussi dans une bonne partie de ses romans : Passage du poète, Farinet ou la fausse monnaie, entre autres.

Maurice Chappaz est sans doute le poète suisse d'expression française le plus représentatif du canton du Valais et, aussi, un grand connaisseur du vin. Un univers qui domine à la perfection, de façon substantielle et essentielle, par ses racines, par sa propre expérience et par son art. Dans un petit livre intitulé Chant des Cépages Romands, le poète nous propose une classe magistrale sur les vins suisses. Un texte qui surprend par la profondeur et la sensibilité que le poète montre envers le vin, la vigne et sa culture.

Vignes pour un miroir (1985) est un livre original né de la rencontre entre deux regards, celui d'un écrivain et celui d'un artiste, peintre et graveur. Corinna Bille s'inspirera d'une série de gravures de Pierre Schopfer pour nous présenter, dans une édition posthume, une trentaine de poèmes inédits sur les belles terrasses des vignobles du Lavaux. Des poèmes à la fois féminins, violents et d'un certain érotisme, dont les vers reflètent une relation étroite entre les femmes et la vigne.

L'importance de cette culture viticole dans le travail de ces écrivains fait l'objet de la présente communication, puisque, comme nous le verrons plus loin, les paysages viticoles donnent à ces écrivains le modèle d'une forme artistique sur laquelle ils fondent une partie de leur création. Poètes du vin, ambassadeurs du vignoble romand.



1.     Sur les terrasses de Lavaux

Lavaux, sur les rives du lac Léman, s'étend sur quelque 900 hectares et compte quelque 28.000 habitants. On dit que les Romains y ont apporté la culture de la vigne, mais il est prouvé qu'elle a été cultivée avec soin au XIIe siècle et que depuis 1742, quatre fois par siècle, de grandes fêtes en l'honneur du vin ont lieu sur la place du marché à Vevey. L'amour pour cet ami principal des hommes s'est allié à la nature pour stabiliser ce paysage insolite. Des terrasses d'un peu plus d'un mètre de large sont enfilées en montée, sur la pente du Jura, jusqu'à 800 mètres ; des terrasses soutenues par des murs de béton et reliées par des escaliers étroits et raides. L'attachement que les gens du lieu ressentent pour leur terre, associé à une exposition exceptionnelle, assure chaque année le succès d'une production déjà reconnue. Nous ne pourrions imaginer Lavaux sans ses vignobles. Toute l'histoire, l'identité, la tradition et l'économie de cette région ont tourné autour de cette culture au fil des siècles. La vigne représente l'or de Lavaux. Corinna Bille nous le rappelle dans ce beau poème :

Ce village sans la vigne

serait redevenue poussière

mais les vieux ceps

ont poussé comme des arbres

et le soutiennent (25).

Nous ne pourrions imaginer Lavaux sans ses vignobles. Mais nous ne pourrions imaginer non plus Lavaux sans C.F. Ramuz :

Le bon Dieu a commencé, nous on est venu ensuite et on a fini... Le bon Dieu a fait la pente, mais nous on a fait qu'elle serve, on a fait qu'elle tienne, on a fait qu'elle dure : alors est-ce qu'on la reconnaîtrait seulement à présent sous son habillement de pierre ?[1]


Lorsque l'on découvre Ramuz, il est très difficile par la suite de dissocier son travail des paysages viticoles de Lavaux. Il faudrait se passer à la fois de sa biographie et de son travail ; il faudrait oublier qu'il était le fils d'un marchand de produits coloniaux devenu grossiste en vins des années plus tard ; qu'il était encore très jeune étudiant quand il participait aux vendanges à Yvorne ; qu'à son retour de Paris il habitait une vieille maison des vignes à Treytorrens, où s’est déroulé sa rencontre décisive avec Stravinsky, sous le double symbole "du pain et du vin d'ici"." Le vin et la vigne sont très présents, non seulement dans ses œuvres les plus inspirées, comme Vendanges, Chant de Notre-Rhône ou Souvenirs d'Igor Strawisky, mais aussi dans une bonne partie de ses romans : Passage du poète, Farinet ou la fausse monnaie, entre autres.

Dans Chant de notre Rhône, Ramuz décrit le début des vendanges : "Dans les vignes au-dessus de moi ils sont occupés à cueillir" (Ramuz 1920 : 9). Les raisins qui sont récoltés avec tant de soin et d'attention sont le résultat d'une année d'efforts et de travail. Ils résument le contenu d'une vie et dans le précieux liquide qui en résulte l'écrivain trouve, non seulement la vie et le travail des vignerons, mais aussi le soleil, la terre, le lac et la région tout entière. D'où l'importance du produit : "On tient le petit verre, on élève le petit verre devant la flamme de la bougie, on regarde au travers ; et c'est tout le pays qu'on voit, tout le pays qu'on boit ensuite, avec sa terre, son sucre, avec son odeur et sève...". (Ramuz 1920 : 18-19).

Le lac est, pour Ramuz, l'élément clé de l'élaboration du vin, et il affirme : "C'est à l'eau qu'on doit le vin" (Ramuz 1920 : 18) ; il est aussi l'origine et le reflet fidèle de la mer Méditerranée, sur les rives de laquelle les historiens ont placé la naissance de cette communauté culturelle. Sur le plan symbolique, commercial et culturel, la Méditerranée est la mère de tous les vins. En fait, la plupart des écrivains fascinés par le vin le sont aussi par le monde méditerranéen. Cette fascination est une constante dans l'imaginaire européen. Et Ramuz fait partie de ce groupe. Dans ses œuvres, il insiste beaucoup sur l'origine méditerranéenne du Rhône et du lac Léman : "Ici est une petite mer intérieure avant la grande" (Ramuz 1920 : 20). Et le vin est ce second fleuve qui remonte le temps et exprime une identité évidemment orientée vers le sud, vers cet espace nommé Mare Nostrum par les Romains. Mais, s’il y a quelque chose de particulier qui différencie le vignoble vaudois, c'est ce deuxième soleil qui se reflète sur le lac Léman, envoyant ses rayons deux fois sur les pentes du canton.

Tu es le grand calorifère, le grand régulateur, le grand réflecteur (et rappelez-vous, quand on demande à la grappe du Dézaley: "Qui t'a dorée?" ce qu'elle dit, et ces coteaux, rappelez-vous, si on leur demandait: "Où est votre soleil?" c'est vers l'eau qu'ils se tourneraient).

Parce qu'il y a deux soleils et le vrai est celui d'en bas. (Ramuz 1920 : 28)


Corinna Bille fait aussi référence à ce lac où se reflètent les vignes de Lavaux :



Il existe deux vignes:

l’une est sur le monde

l’autre dans la vague.



Je préfère la seconde

je nage en elle (33).



Le vignoble fait partie intégrante du paysage et de la culture de la région. C'est pourquoi, lorsque Ramuz décrit un village, il intègre cette culture viticole d'une manière si naturelle que ce mot présente ici toute son ampleur.

Églises, vieilles et neuves, petites et grandes, églises de pierre, la pierre partout, la vigne partout, ici déjà ces étages de vignes, les vieilles vignes, les vieux plants : muscat, fendant, umagne, rèze, amigne, l'une sur l'autre par étages et marches du côté nord (là le roc, là la nudité) (Ramuz 1920 : 13).



Cultiver et culture sont ainsi fusionnées en un seul mot, comme dans leurs origines. Cultiver la vigne ou la culture de la terre, donnent forme aux gens qui vivent dans le lieu, leur donnant une identité propre, qui peut être appréciée par des gestes, la couleur de la peau, etc. "...dès le début de la toilette, s'affirme une nature, celle qui remonte dans les mots dits, les gestes faits, la couleur de la peau des femmes, leurs tresses tellement serrées, qu'elles font penser à une grappe de raisin" (Ramuz 1920 : 13-14). L'écrivain lui-même participe également à cette assimilation avec la culture du lieu et compare son travail à celui des vignerons eux-mêmes. L'admiration de Ramuz pour les paysans, les vignerons et les artisans est bien connue. Ramuz aimait se comparer à eux. Il ne s'est jamais senti à l'aise avec le qualificatif d'artiste - qu'il considérait comme synonyme d'extravagant. Pour Ramuz, le mot artiste avait une sorte de connotation, d'originalité libre et sans intérêt. En fait, lorsqu'il compare son travail à celui d'un artisan, comme le cordonnier de son magasin, qui parvient à faire une paire de chaussures par des gestes petits, continus, réguliers et extrêmement calculés et contrôlés. Il est aussi comparé au charpentier qui construit une table. La comparaison a ici un sens différent : le menuisier, en construisant sa table, choisit bien ses matériaux, de sorte que son travail a une certaine durée. Pour Ramuz, le travail de l'écrivain est fait pour durer, c'est pourquoi, malgré les difficultés économiques qu'il aura toute sa vie, il prend soin du matériel qu'il achète, écrit à l'encre de Chine et sur papier de bonne qualité, afin que son travail perdure aussi dans le temps. Et, bien sûr, avec les vignerons, puisque le travail de l'écrivain mûrit comme le fruit qu'ils récoltent, avec beaucoup de temps, de travail et d'efforts ; et comme le vin, il n'en tire que le meilleur. C'est pourquoi nous affirmons que l'espace géographique dans lequel il vit, et surtout le paysage de Lavaux, lui donne le modèle d'une forme artistique sur laquelle repose tout son style créatif :

Mon cric crac à moi, qui est de la pièce d'acier tombant à chaque fois dans l'entre-deux des dents pour empêcher que, ça n'aille en arrière, ah ! Que pour moi non plus, ça n'aille en arrière, quand l'amas du foulé durcit, se dessèche par excès de pression, ne laisse déjà plus tomber qu'un peu de suc, mais le meilleur !

Ah ! Être associé, ici, à tout ce qui es d'ici… ! (Ramuz 1920 : 11)


Il est également curieux d'observer comment Ramuz mesure le temps. Le rythme des saisons est donné à travers les étapes de la récolte. Souvenirs sur Igor Strawinsky (1929) commence : "J'ai fait, je crois, la connaissance de Strawinsky en 1915, à l'automne, c'est à dire, au moment où je venais de finir la vendange dans le hameau du Treytorrens que j'habitais en ce temps-là" (Ramuz 1928 : 49). Dans ce travail dans lequel Ramuz raconte les années passées avec son grand ami Strawinsky, ainsi que les projets qu'ils ont menés ensemble, nous trouvons un autre aspect de cette culture viticole : le rite du vin.

…pour recevoir convenablement ses amis; alors on les mène à la cave où ça chante dans les grands "vases", d'où un premier petit verre est tiré, plein d'une espèce de laitage sentant fort, qui leur est présenté, puis un encore, puis un autre encore, sans qu'on dise rien (c'est le rite); et c'est seulement au quatrième ou cinquième essai qu'on se décide : "Eh bien, qu'est-ce que vous en pensez? (Ramuz 1928 : 51-52).



Ramuz reçoit ainsi Strawinsky, en bon viticulteur - faute d'autre qualité - et l'invite à partager, comme il est d'usage dans le pays, ce jeune vin, récemment extrait de la terre : "Moi, c'est tout bonnement en vigneron (je veux dire un vigneron sans vignes, mais heureux de se conformer à la coutume qui est dans le vignoble, une fois la vendange faite, d'inviter ses connaissances, à qui on fait goûter le vin nouveau)" (Ramuz 1928 : 50). Rapidement une bonne harmonie s'établit entre eux. Les deux ont beaucoup de choses en commun. La similitude, malgré les nationalités et tant de différences superficielles, était évidente, étroite. Les deux l'ont réalisé instantanément. Ramuz n'avait pas besoin de connaître la musique de Strawinsky ou son œuvre la plus célèbre à ce jour, Le Sacre du Printemps, pour la sentir. Il lui propose de le rencontrer tous les après-midis à quatre heures dans un petit café rose du Crochettaz et, voyant comment Strawinsky se comporte devant un demi-verre de vin Dézaley et un morceau de pain et fromage, Ramuz est encore plus convaincu. Il se rappelle ainsi cette première rencontre : "Je ne me souviens plus du tout de ce qui fut l'objet de la conversation : ce dont je me souviens très bien par contre, c'est de cette parfaitement entente préliminaire dont le pain et le vin d'ici furent l'occasion" (Ramuz 1928 : 52).



2.     Le Vieux Pays, le Valais

La vigne ne représente pas seulement la nature, c'est aussi la culture, le travail des hommes et l'expression d'une civilisation. Nombreux sont les textes autobiographiques qui évoquent ce premier environnement et son importance aux yeux de Ramuz. Vendanges est sans aucun doute l'une des plus belles œuvres littéraires inspirées du vin, où se mêlent réalisme symbolique et fiction tragique. Ramuz a quarante-neuf ans lorsqu'il écrit cette histoire, et il tente de reconstruire, à partir de souvenirs fragmentaires, l'unité de l'enfance et l'unité du paysage, pour trouver une dimension mythique de l'existence où la vigne et le vin deviennent la métaphore essentielle. Dans cette œuvre, ce qui frappe le plus ce jeune Ramuz, ce sont les incroyables similitudes entre ce qu'il appelle Le Vieux Pays, c'est-à-dire le Valais, et ce monde ancien qu'il avait découvert à travers la Bible. La vie en Valais à la fin du 19ème siècle était dicté par des rites et coutumes élémentaires et ancestraux que Ramuz croyait issus d'un âge d'or que la région elle-même avait su maintenir de manière exceptionnelle. Pour lui, rien n'a changé depuis l'antiquité :

On vivait comme dans le Bible : j'ai connu Noé et ses fils. C'était le temps où on avait deux heures d'histoire sainte par semaine au Collège ; et dans le Livre il est écrit : Noé qui était laboureur commença à planter la vigne. Et il but du vin, et en fut enivré, et il se découvrit au milieu de sa tente. J'ai connu Noé vivant, je l'ai vu. L'odeur forte du vin nouveau qui montait de partout et venait flotter, la nuit, jusque dans les chambres, faisait que tous les siècles se trouvaient confondus.

A Vendanges (1927), on assiste à la belle naissance du vin en cave. Pendant ses vacances de récolte, Ramuz aide à Yvorne, la région vaudoise de la vallée du Rhône, avec d'autres écoliers de son âge. Ces garçons, y compris l'auteur, quittent souvent le vignoble où ils travaillent avec le groupe de femmes. Ils se faufilent par les routes adjacentes et se rencontrent à la porte menant à la presse. Pour eux, cet endroit a l'attrait du fruit défendu. Brisant l'interdit, les garçons pénétreront dans ce lieu souterrain, magique et sacré où se déroule la cérémonie dionysiaque et virile de la transformation du vin. Dans cet espace fermé, interdit aux femmes et aux enfants, se déroulait le travail réservé aux hommes. En entrant dans cet espace sacré, le jeune Ramuz a l'impression d'entrer dans le troublant accès à l'origine même de la vie. Ce qui se passe ensuite dans cette cave a aussi de fortes connotations sexuelles : "On comprenait pourquoi on était venu, et quel grand besoin nous avait poussés jusqu'au ici, nous autres garçons de dix à douze ans, et c'était d'affirmer notre sexe et notre âge" (Ramuz 1927 : 197). Entrer dans cette grotte où se déroule le lent travail de la fermentation du vin a été vécu par les garçons comme un rite d'initiation qui leur a permis d'être témoins de l'origine de la vie, voire de revivre leur propre arrivée dans le monde. On observe ici la génération du mâle par le mâle, les femmes étant exclues. Mais la cave, avec ses gémissements, ses soupirs, semble aussi avoir des connotations féminines, et nous fait penser à une femme qui accouche :


Elle [une petite porte de sapin] faisait justement la limite entre le permis et le pas permis. "Ouvres-tu ?" - "Non, c'est toi…" - "C'est toi, je te dis…" On se poussait contre le panneau de sapin non recouvert de peinture et sommairement raboté ; et déjà, au travers des planches minces, un grand bruit se faisait entendre, venant nous tenter toujours davantage, quand on était ainsi deux ou trois petits garçons de dix ans : le bruit des travaux réservés aux hommes, les travaux sérieux, les grands travaux mystérieux du pressoir et de la cave, - après les humbles besognes de femmes où on nous avait réduits jusqu'alors. On comprenait pourquoi on était venus, et quel grand besoin nous avait poussés jusqu'ici, nous autres garçons de dix et douze ans, et c'était d'affirmer notre sexe et notre âge. Là-bas, ce n'était encore que la cueillette, et ce n'était encore que le raisin, c'était le fruit sucré bon pour les enfants et les femmes : ici déjà commençaient les régions de la fermentation, c'est-à-dire du vin, c'est-à-dire de la boisson qui convient aux hommes faits, c'est-à-dire qui nous convenait, à nous. […] Et on avait cette plainte sous ses pieds, dans son dos, on la percevait tout ensemble avec les oreilles et le corps par une présence en même temps extérieure et intérieure, - quand ça chante, ça grince, ça craque, ça soupire, ça gémit : le pressoir et ceux qui y sont, ceux qui sont au treuil et à la palanche, ceux qui tournent la manivelle, et durement, des deux bras, et à deux, l'un d'un côté de l'arbre, l'autre de l'autre, font venir la grosse corde et la font s'y enrouler. Un grand travail douloureux, difficile, et cependant plein de promesses comme dans un enfantement, et auquel il semblait que toute la maison prît part avec sa pierre de taille, comme intéressée elle aussi à s'aider et s'aidant… On se glissait par la porte entr'ouverte… (Ramuz 1927 : 196-198).


Après Ramuz, l'écrivain valaisan le plus représentatif de l'après-guerre, est sans aucun doute, Maurice Chappaz. Dans Chant des cépages romands[2], ce petit grand texte, Chappaz nous invite à découvrir surtout les vignobles de son canton natal : le Valais. Il nous montre fièrement les vignes. Il énumère et décrit avec passion les caractéristiques les plus authentiques du vignoble valaisan et les accompagne d'anecdotes et d'expériences personnelles. Ainsi, le lecteur fait l'expérience d'un voyage intérieur magique qu'il lui sera difficile d'oublier. Il est impliqué dans cette description en tant qu'expert en la matière, répondant par ses efforts et même par sa propre expérience à l'important héritage que ses ancêtres lui ont transmis. Maurice Chappaz est marié à Corinne Bille, écrivaine également d’origine valaisanne, et passionnée aussi par la viticulture. La famille Chappaz a vécu plusieurs années à Fully, où Maurice a dirigé les vignobles de son oncle Maurice Troillet, alors Conseiller d'Etat, créant un petit commerce de vin qui est toujours actif aujourd'hui[3]. Des années plus tard, la famille Chappaz a construit une maison à Veyras, où l'on peut voir les rangées de vignes allant jusqu'à Muzot. Corinna Bille avait déjà fait sa petite contribution écrite dans ce domaine, parfaitement dominé par son mari - dans une série d'articles sur "Les travaux de la vigne" publiés dans la revue L'Abeille[4] ; dans des textes tels que "Vendanges" à Douleurs Paysannes (1953) ou "Les raisins de verre" dans Cent petites histoires cruelles (1973). Les deux poètes ont connu les secrets les plus intimes de la vigne, les vicissitudes et les subtilités du métier, mais surtout ils ont été imprégnés de la plus belle poésie, celle qui vient directement du terroir.

Les vignes ont fait le visage de ce pays, vignes mamelles, vignes racines, vigne-arabesque, les hommes ont construit ce pays avec des vignes.

Cassé la pierre, creusé la terre, soulevé la pierre, posé là où il faut et l’autre dessus (voir Inca, quel monde étrange). L’eau peut passer, la terre là où elle manquait fut portée. Les hommes ont d’abord tout fait avec leurs mains, avec leurs dos, avec leur esprit. Ils ont élevé le long des montagnes d’énormes marches, ces marches montent jusqu’à mille mètres parfois, les ont remplies de terre rose, de cailloux, de terre grise, de cailloux, de terre noire, de cailloux. Cailloux pour retenir la chaleur du soleil, (débris) pour laisser circuler les racines. La vigne a dédoublé ce pays, la vigne est l’intérieur et l’extérieur du monde. On la voit et on ne la voit pas. Elle est secrète, magique, concrète, visible. Elle est nous et pas nous (Bille, 1996: 316-317)

Une terre, le Valais, dont plus d'un tiers de la superficie cultivée est recouvert de belles terrasses de vignes, occupe la première place dans la production viticole de toute la Suisse. Ces terrasses, comme celles de Lavaux, ont été façonnées par l'homme, créant sur les pentes abruptes et raides, des parcelles de vignes aux géométries impressionnantes. Tout au long de l'histoire, le paysage valaisan s'est forgé avec une tradition que les Valaisans prennent très au sérieux :

Bien des notaires qui ne prêtent pas attention à leurs épouses, goûtent, tâtent, regardent respirent, mirent une carafe de vin dans un rayon de soleil comme s’il s’agit d’une personne, de leur vraie femme, de leur enfant. Ils ont des gestes câlins pour prendre leur verre, une bouche futée, des mots d’amoureux […] Tirer sa nourriture d’un champ et se taire, voilà sans doute la moins vaine des occupations humaines (Chappaz 2009 : 27).



Chappaz nous présente les différents cépages, les types de vins que produisent ces terres, les délicieux nectars qui enivrent l'âme et le cœur de ceux qui les dégustent. Mais il s'arrête aussi pour décrire le savoir-faire et la profonde connaissance de ces marieurs de plantes, les gestes délicats et habiles des vendangeurs qui cueillent les raisins à la main, les tonneliers qui savent choisir le meilleur bois pour construire les douves sacrées (Chappaz 2009 : 16).

Comme l'explique Isabelle Rüf dans son introduction au "Chant des cépages romands", ce petit livre est avant tout un extraordinaire "hymne au goût" : le goût amer, le miel, l'astringence du gamay, le "bouquet de marguerites écrasées", la "verte sève veloutée de l'ermitage", le "long, long parfum de réséda du riesling". La lecture nous invite à savourer et à nous régaler de chacun de ces vins. Tous les éléments sont représentés : la vigne, le sol, les plantes, mais aussi le granit, les différents types de roches, le silex, les glaciers, là au sommet des montagnes alpines si près du ciel ; sans oublier le climat et la bonne orientation des vignes par rapport au soleil, et l'eau qui émane des riches sous-sols.

Toutes les vignes du pays romain sont présentes dans cet ouvrage : Amigne, Arvine, Humagne (blanche, rouge), Pinots (noir, gris, blanc), Muscat, Malvoisine, Païen. Le poète fait un grand voyage descriptif à travers les cantons de Vaud et de Neufchatel, mais surtout en s'arrêtant dans son Valais natal : “Alors dans un coin secret de ma province, je vous dirai la litanie des grappes. Vous prononcerez leurs premiers noms qui se brisent dans la gorge. Au commencement il y avait le gouais, le gwäss, la durize, la rèze. Et puis le Fendant est venu (Chappaz 2009 : 11). Ce grand voyage l'amène à nous expliquer dans ses premières pages comment s'élabore ce miracle connu sous le nom de "vin des glaciers". "Avec ça [le Fendant] on a fait ce miracle : le Glacier " (Chappaz 2009 : 11). Spécialité et tradition des bourgeoisies de la vallée des Anniviers, dont les origines remontent à la transhumance, c'est-à-dire à l'époque où les familles se déplaçaient plusieurs fois par an entre la maison de la vallée et celle de la montagne, accompagnant leurs troupeaux dans les hautes prairies, accomplissant ainsi les tâches de chaque saison. Son nom "Vin des Glaciers" est le résultat de son transport en altitude pour le faire vieillir et permettre une meilleure vinification à proximité du glacier. Sa production remonte aux XVI-XVIIe siècles, lorsque les vignes furent acquises par les bourgeoisies. Actuellement, on peut entendre deux versions de son nom : "Vin du Glacier" ou "Vin des Glaciers".

 Ce vin était autrefois élaboré à partir de Rèze, un cépage originaire du Valais. Aujourd'hui, il est assez rare et insuffisant pour continuer à produire ce vin, c'est pourquoi les bourgeoisies et les viticulteurs de la Vallée des Anniviers ont opté pour d'autres cépages tout aussi autochtones comme l'Hermitage, mais aussi l'Arvine et la Malvoisine. Outre son vieillissement particulier en fûts de mélèze (entre 10 et 15 ans selon le procédé Solera), l'élément le plus caractéristique de ce vin, comme l'explique Chappaz ci-dessous, est sa technique de remplissage particulière :   

Les tonneaux de la Bourgeoisie n’étaient jamais vides. Leurs sacrées douves effilochées ne tiennent ensemble que grâce à la pierre à vin intérieure qui granit tout l’ovale. Mais sain tout ça ! On ajoute la nouvelle récolte par-dessus l’ancienne. On rajeunit ainsi le vin vieux (Chappaz 2009: 16)

Cette procédure est appelée "transfert" et a lieu chaque année entre fin mai et début juin, lorsque le vin est déjà préparé à Sierre (où les cuves ont passé l'hiver) pour son ascension en chariots vers la cave naturelle géante du Val d'Anniviers, située à 3 kilomètres du glacier. Chappaz met un accent particulier sur le processus naturel de production du précieux liquide à l'aide de techniques ancestrales qui respectent les temps de récolte et de conditionnement. Et il en profite pour rappeler à ces marchands impatients que "le vin est un organisme vivant". 

Les vins vivent, les fortes Dôle, les Païens acides et nets plus de trente ans. Le début chez nous c’étaient ces vins jaunes de paysans et de curés, naturels, pas filtrés, pas viciés par le lin comme dit le très sage Horace. On savait attendre pour vendanger, on transvasait par grand froid, on asseyait les fûts sur la paille et on les menait doucement avec le cheval ou le mulet dans les municipalités de la montagne. Et là, dans les entrailles, dans ces cavernes de hameaux, par le noir, l’humidité juste et l’hygiène de l’altitude, leurs substances s’enrichissait, elle se dépouillait de sa bourbe, de la part perfide des lies, mais le vin s’engraissait, se sustentait de tout le bon qui est en suspension. Quelques gars marchands ont oublié que le vin est un organisme vivant (Chappaz 2009 : 15)

Glacier est un vin très particulier tant par sa consommation (20 litres par barrique et par an en moyenne) que par sa saveur : “Il acquiert une profonde saveur, un goût tanné et frais de mélèze et d’esparcette, il est franc, il est net et vous suggère le simple parfum, l’envoutante touche de pollen du vieux pays. Vous avez le Glacier » (Chappaz 2009: 16). La Bourgeoisie de Grimentz a l'honneur d'abriter le plus grand et le plus ancien fût de Vin des Glaciers, connu sous le nom de "Tonneau de l'Evêque".



3.     Vignes pour un miroir


Vignes pour un miroir (1985) est un livre original né de la rencontre entre deux regards, celui d'un écrivain et celui d'un artiste, peintre et graveur. Corinna Bille s'inspirera d'une série de gravures de Pierre Schopfer pour nous présenter, dans une édition posthume, une trentaine de poèmes inédits sur les belles terrasses des vignobles du Lavaux. Des poèmes à la fois féminins, violents et d'un certain érotisme, dont les vers reflètent une relation étroite entre les femmes et la vigne.

La beauté singulière de Lavaux a incité le peintre et graveur Pierre Schopfer à réaliser une série de gravures sur le thème de la vigne et de l'eau entre 1971 et 1973. L'une de ces estampes petit format sur Lavaux servira de base à un projet du peintre Albert Chavaz (1907-1990). Chavaz, un ami personnel de la famille de Corinna Bille, propose aux deux artistes la création d'un livre qui associerait les gravures de Pierre Schopfer aux poèmes de l'auteur. Enthousiasmée par l'idée et l'œuvre de Schopfer, Corinna Bille présente d'abord quelques textes déjà écrits. Déterminé à faire de son projet un succès, Chavaz l'emmène, en 1975, chez lui à Veyras, un portfolio de plus de cent gravures de l'artiste. L'écrivain, inspiré par les dessins, écrira une vingtaine de poèmes inédits. La lecture des textes entraînera à son tour de nouveaux changements dans les gravures. Les deux artistes enrichiront ainsi respectivement l'œuvre. En 1978, le choix des gravures et des poèmes est devenu définitif : sur près d'une soixantaine de poèmes écrits, une trentaine ont été choisis pour accompagner une trentaine de gravures. Le projet est sur le point d'être achevé quand, à l'automne 1979, il est interrompu par le décès inattendu de Corinna Bille. Il faudra attendre 1985 pour voir la première édition publiée par André et Pierre Gonin à Lausanne. L'édition que nous présentons est l'édition 1997 publiée par Editorial Empreintes. Il s'agit d'un petit livre composé par trente poèmes inédits qui accompagnaient les célèbres gravures de Schopfer.

Commençons donc à déguster, comme une douce goutte de liqueur, la lecture de ces "Vignes pour un Miroir". Livre d'annotations poétiques toutes liées au monde du vin et du vignoble de Lavaux.

Des poèmes pleins de fraîcheur dans lesquels les éléments de la nature sont toujours présents : les montagnes, les vignes, les grottes, les forêts, les lacs deviennent ainsi le cadre incomparable dans lequel se développent ses poèmes. Cependant, cette réalité est souvent troublante, elle semble se fissurer, permettant l'émergence d'un monde différent, à la limite du surnaturel. Corinna vit profondément la nature, de telle sorte que le rêve de ces éléments devient une expérience existentielle. Maryke de Courten révèle, dans L'imaginaire de l'œuvre de Corinna Bille, que les rêves de terre et de végétation dominent son œuvre. Ainsi la vigne grimpante prend une vie propre et, au milieu de la nuit, se présente à l'écrivain pour perturber son rêve. Ainsi se produit une communion intime avec la vigne, qui semble la réconforter. Son style frise parfois ce "panthéisme à la fois naïf, ardent et très profond" (Bille R.P., 1992 :103-104). D'autres fois, elle partage avec elle ses moments les plus intimes. La nature nous invite à l'abandon, à un sommeil heureux et calme. Le vignoble cache et protège le sommeil paisible des deux amoureux. Les deux semblent se confondre avec les vignes grimpantes qui les entourent.

Corinna se nourrit des contes et des comptines qu'elle a entendus dans son enfance, recréant un monde dans lequel des personnages fantastiques, héros légendaires et historiques s'expriment et interagissent. Ces histoires sont les souvenirs d'enfance de cette jeune fille riche et agitée, dotée d'une grande sensibilité et d'une grande imagination, qui deviendra au fil des ans une grande écrivaine. Ainsi, Lancelot du Lac, chevalier de la Table Ronde, rêve de porter un manteau en maille sans couture "faite de terre, de murailles de fer d'échalas" (11), conçu dans les vignobles de Lavaux ; une étrange créature géante et invisible monte et descend les terrasses de Lavaux comme de simples escaliers : "ces marches géantes entre lac et ciel" (22). "Le bon roi Dagobert[qui] a mis sa culotte à l'envers" (26), devient enfin vigne quand il se détache de tous ses vêtements : " Ses habits verts sont devenus jaunes d’abord puis rouges, Toutes ses feuilles sont tombées et le voici tout nu " (27).

Dans cet univers de rêve, tous les êtres animés ont leur propre voix : les oiseaux, les grillons, l'aigle. Tous les sens sont au service de la vigne. Selon Bachelard "tout ce qui brille voit" (1965 : 65). Dans ce poème, les milliers d'yeux qui brillent sont les raisins des grappes qui observent avec impatience ce qui se passe autour d'eux. D'autres fois, c'est l'odeur de ses fleurs qui est respirée. Des fleurs qui annoncent le printemps et avec lui la renaissance de la vie, mais qui paradoxalement deviennent le parfum le plus désiré pour la femme mourante d'un de ses poèmes, - peut-être la dernière tentative de s'accrocher à une vie qui s'échappe progressivement.

L'attachement ressenti par la protagoniste du poème pour cette terre et ces champs de vignes semble si immense que son corps résiste à l'abandonner. Ainsi, après le dernier souffle, une partie d'elle se réincarne dans une vigne, devenant partie du monde végétal. Ce sont ce que De Courten appelle des métamorphoses partielles (1989 : 115).

Ainsi, les poèmes qui retiennent le plus notre attention sont ceux où la vigne se métamorphose en femme. Des poèmes à la fois féminins, violents et même dotés d'un certain érotisme, qui reflètent dans leurs vers la relation étroite qui existe entre les deux.

Cette façon de représenter la vigne comme un être féminin n'est pas nouvelle dans l'œuvre de Corinna Bille. Dans les notes et les fragments recueillis dans ses œuvres inachevées, faisant référence à la relation établie entre les vignerons et leurs vignes, on peut lire : "Ils l'aiment comme leur femme, plus que leur femme. Ils pensent à elle, ils la visitent, ils la surveillent. Elle est leur mère, leur fille, leur sœur, leur épouse, leur amante" (Bille, 1996 : 317). Le vignoble, comme on le voit, représente chacune des figures féminines possibles. Elle est directement associée à la femme en raison de la similitude qu'elle entretient avec elle : sa fertilité. Et tout comme la vigne est dominée par l'homme qui fait la culture, dans un processus parallèle et équivalent, l'homme soumet aussi la femme : "Ces hommes viennent à elle comme ils vont à leurs femmes et comme ils vont à la guerre. Ils la fécondent et ils la battent " (Bille, 1996 : 317).

Dans ces sociétés agricoles et patriarcales, la femme présentée par Corinna Bille conserve encore les vertus inquiétantes qu'elle possédait dans les sociétés primitives en raison de son association avec la nature. L'écrivain sait comment transmettre ce souci à la perfection dans le poème suivant.

Devenue médiatrice entre la nature et l'homme, la femme est facilement associée à la magie, à l'irrationnel et à l'inconnu. Tout au long de l'histoire, les hommes ont projeté dans le féminin tout ce qu'ils désirent et craignent. Les vendangeurs ressentent donc le désir et la curiosité d'approcher la jeune femme, mais ils semblent avoir peur d'elle. Ils l'associent aussi à la présence d'un serpent comme animal de compagnie, un être mythologiquement tentant. Incapable de le définir, la jeune femme devient un être qui oscille entre séduction, fascination et peur qu'il produit. La vigne et la femme semblent se confondre dans la dernière partie du poème, lorsque cette dernière utilise une partie de la plante pour s'orner elle-même et obtenir ainsi la parfaite illusion : est-ce la femme qui est devenue vigne ou la vigne qui est devenue femme ?

L'importance de cette culture viticole dans le travail de ces trois écrivains a fait l'objet de cette communication. Nous avons donc prouvé que l’amour par ces paysages viticoles ont donné à ces trois écrivains le modèle d'une forme artistique sur laquelle ils ont fondé une partie de leur création. Ils sont donc devenus poètes du vin, ambassadeurs du vignoble romand.



 Communication présentée lors du FORUM APEF 2019-L’ALCHIMIE DU VIN-Universidade de Trás-os-Montes e Alto Douro – Vila Real (Portugal) 7, 8, 9 novembre 2019.



[1] C.-F. RAMUZ, "Fête des Vignerons", 1929 -- remaniement de son roman "Passage du Poète" (1923), ré-édité en 1984 aux Editions Séquences [REZE-LES-NANTES, Loire-Atlantique], chapitre VII, page 88].
[2] C'est le premier texte que Maurice Chappaz a écrit sur commande. L'édition originale de cet ouvrage paru en 1958 a été publiée dans un petit livre intitulé Éloge des vignes suisses, traité ampélographique d'Ernest Feisst, accompagné de 15 planches avec des dessins consacrés aux différentes souches. En 1992, la maison d'édition Empreintes à Lausanne réédite le poème en 28 pages. Depuis 2009, il est publié dans la collection Mini-Zoé à Genève - cet ouvrage comprend également de magnifiques illustrations de Palézieux.
[3] Marie-Thérèse Chappaz, sobrina de Maurice Chappaz, se ocupa en la actualidad de esta herencia vitícola. Consultar www.chappaz.ch.
[4]   L’Abeille : Hebdomadaire Illustré, Revue de famille. Editeurs C.J. Bucher S.A., Lucerne, Zurich, Genève.

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